La pierre et le sabre
Quand l’impossibilité
de l’arrêter fut devenue évidente, le seigneur Karasumaru fit tout son possible
pour l’aider. Il prit lui-même en charge l’opération ; tandis qu’Otsū
boitillait lentement vers le Ginkakuji, il envoya ses hommes battre les divers
accès au village d’Ichijōji. Les hommes marchèrent jusqu’à ce que les
pieds leur fissent mal ; ils allaient renoncer quand ils découvrirent le
gibier.
Le samouraï indiqua la direction ;
Otsū, résolue, entreprit de gravir la colline. Jōtarō, craignant
qu’elle ne s’effondrât, demandait à chaque pas :
— Ça va ? Vous y arrivez ?
Elle ne répondait pas. A vrai
dire, elle ne l’entendait même pas. Son corps émacié ne réagissait qu’au besoin
d’atteindre Musashi. Sa bouche était sèche, mais son front blême ruisselait de
sueurs froides.
— ... Ce doit être le chemin,
dit Jōtarō dans l’espoir de l’encourager. Cette route va au mont
Hiei. A partir de maintenant, c’est tout plat. Plus à grimper. Voulez-vous vous
reposer un peu ?
Elle secoua la tête en silence,
fermement agrippée au bâton qu’ils portaient entre eux, luttant pour respirer
comme si toutes les difficultés de la vie se concentraient dans cet unique
trajet.
Quand ils furent parvenus à
parcourir environ un kilomètre et demi, Jōtarō cria : « Musashi ! Sensei ! » et continua de crier. Sa voix forte affermissait le
courage d’Otsū, mais bientôt ses forces la trahirent.
— Jō... Jōtarō...
murmura-t-elle faiblement.
Elle lâcha le bâton et se laissa
glisser dans l’herbe, au bord de la route. Face contre terre, elle porta à sa
bouche ses doigts délicats. Ses épaules tressaillaient de mouvements
convulsifs.
— Otsū ! C’est du
sang ! Vous crachez le sang ! Oh ! Otsū !
Au bord des larmes, il la prit par
la taille et la releva. Elle secoua lentement la tête. Ne sachant que faire d’autre,
Jōtarō lui tapotait le dos avec douceur.
— ... Que voulez-vous ?
demanda-t-il.
Elle était incapable de répondre.
— ... Je sais ! De l’eau !
C’est bien ça ?
Elle acquiesça faiblement de la
tête.
— ... Attendez-moi ici. Je
vais vous en chercher.
Il se redressa, regarda autour de
lui, écouta quelques instants et se rendit à un ravin proche où il entendait
couler de l’eau. Il n’eut pas grand-peine à trouver une source qui jaillissait
en bouillonnant des rochers. Comme il allait puiser de l’eau dans ses mains, il
hésita, les yeux fixés sur les crabes minuscules, au fond du bassin. La lune ne
brillait pas directement sur l’eau mais le reflet du ciel était plus beau que
les nuages d’un blanc d’argent eux-mêmes. Décidant de boire une gorgée lui-même
avant d’accomplir sa tâche, il se déplaça latéralement de quelques dizaines de
centimètres et se mit à quatre pattes, le cou tendu comme celui d’un canard.
Alors, il hoqueta – une
apparition ? — et son corps se hérissa comme une châtaigne en sa bogue.
Dans le petit bassin se reflétait un motif strié : en face, une
demi-douzaine d’arbres. Juste à côté d’eux, l’image de Musashi. Jōtarō
pensa que son imagination lui jouait des tours, que le reflet ne tarderait pas
à s’effacer. Comme il ne s’effaçait pas, l’enfant leva très lentement les yeux.
— ... Vous êtes là !
cria-t-il. Vous êtes là vraiment !
Le paisible reflet du ciel se changea
en boue tandis que Jōtarō traversait le bassin en éclaboussant et en
trempant son kimono jusqu’aux épaules.
— ... Vous êtes là !
De ses bras, il étreignit les
jambes de Musashi.
— Silence, dit Musashi
doucement. Ici, c’est dangereux. Reviens plus tard.
— Non ! Je vous ai
trouvé. Je reste avec vous.
— Silence. J’ai entendu ta
voix. J’ai attendu ici. Allons, porte de l’eau à Otsū.
— Maintenant, elle est
boueuse.
— Il y a un autre ruisseau
là-bas. Tu le vois ? Tiens, porte-lui ça.
Il tendait un tube de bambou. Jōtarō
leva le visage et dit :
— Non ! Vous,
portez-le-lui.
Ils restèrent ainsi, debout,
quelques secondes, puis Musashi acquiesça de la tête et se rendit à l’autre
ruisseau. Ayant rempli le tube, il le porta près d’Otsu. Il l’entoura doucement
de son bras, et leva le tube jusqu’à ses lèvres. Jōtarō se tenait à
côté d’eux.
— ... Regardez, Otsū !
C’est Musashi. Vous ne comprenez donc pas ? Musashi !
Tandis qu’Otsū buvait à
petites gorgées l’eau fraîche,
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