La pierre et le sabre
trouvait en termes amicaux avec Matahachi. Musashi lui
déplaisait à cause de sa brutalité ; mais jamais elle n’avait craint de
lui répondre quand il lui disait des choses insultantes. Tous deux songeaient
maintenant à la montagne où se dressait le Shippōji, et aux berges de la
rivière Yoshino, en bas. Et tous deux savaient qu’ils gaspillaient de précieux
instants – des instants qui ne reviendraient jamais.
— Jōtarō m’a dit
que tu étais malade. Très malade ?
— Rien de grave.
— Tu tu sens mieux, maintenant ?
— Oui, mais c’est sans
importance. Tu t’attends vraiment à être tué aujourd’hui ?
— Je le crains.
— Si tu meurs, je ne pourrai
continuer de vivre. Voilà pourquoi il m’est si facile en ce moment d’oublier
que je suis malade.
Une certaine lumière brilla dans
les yeux de la jeune fille, ce qui fit sentir au jeune homme la faiblesse de sa
propre détermination en comparaison de la sienne. Pour acquérir ne fût-ce qu’un
peu de maîtrise de soi, il avait dû méditer depuis des années la question de la
vie et de la mort, se discipliner sans arrêt, se forcer à subir les rigueurs d’un
entraînement de samouraï. Sans entraînement ni autodiscipline consciente, cette
femme était capable de déclarer, sans l’ombre d’une hésitation, qu’elle aussi
se trouvait prête à mourir si lui mourait. Son visage exprimait une sérénité
parfaite ; ses yeux lui disaient qu’elle ne mentait ni ne parlait
impulsivement. Elle semblait presque heureuse à la perspective de le suivre
dans la mort. Avec un peu de honte, il se demanda comment les femmes faisaient
pour être aussi fortes.
— Ne sois pas absurde, Otsū !
laissa-t-il échapper soudain. Il n’y a aucune raison pour que tu meures.
La force de sa propre voix et la
profondeur de son sentiment le surprirent lui-même.
— ... Que je meure en combattant
contre les Yoshiokas est une chose. Non seulement il est juste, pour un homme
qui vit par le sabre, de mourir par le sabre, mais j’ai le devoir de rappeler à
ces lâches la Voie du samouraï. Ta volonté de me suivre dans la mort est
profondément touchante, mais à quoi bon ? Cela ne serait pas plus utile
que la pitoyable mort d’un insecte.
La voyant de nouveau éclater en
sanglots, il regretta la brutalité de ses paroles.
— ... Maintenant, je
comprends comment depuis des années je t’ai menti, et me suis menti à moi-même.
Je n’avais pas l’intention de te tromper quand nous nous sommes enfuis du
village ou quand je t’ai vue au pont de Hanada mais je t’ai trompée... en
feignant d’être froid et indifférent. Mais ce n’était pas là ce que j’éprouvais
réellement... Dans un petit moment, je serai mort. Ce que je vais dire est la
vérité. Je t’aime, Otsū. J’enverrais tout promener pour vivre avec toi si
seulement...
Après une brève pause, il reprit
avec plus de force :
— ... Tu dois croire chacun
des mots que je dis parce que je n’aurai jamais d’autre occasion de te les
dire. Je te parle sans amour-propre ni faux-semblant. Il y a eu des jours où je
ne pouvais me concentrer parce que je pensais à toi, des nuits où je ne pouvais
dormir parce que je rêvais de toi. Des rêves brûlants, passionnés, Otsū ;
des rêves qui me rendaient presque fou. Souvent, j’ai étreint ma couche comme s’il
s’était agi de toi... Pourtant, même quand j’éprouvais ce genre de sentiment,
si je dégainais mon sabre et le regardais, ma folie se dissipait et mon sang se
calmait.
Le visage tourné vers lui, en
larmes mais radieux comme une fleur, elle voulut parler. Devant la ferveur des
yeux de Musashi, les paroles restèrent dans la gorge d’Otsū, et de nouveau
elle regarda le sol.
— ... Le sabre est mon
refuge. Chaque fois que ma passion menace de me submerger, je me force à
retourner dans l’univers du sabre. C’est ma destinée, Otsū. Je suis
déchiré entre l’amour et l’autodiscipline. Il semble que je suive deux voies à
la fois. Pourtant, lorsque les voies divergent, invariablement je parviens à me
maintenir sur la bonne... Je me connais mieux que personne d’autre ne me
connaît. Je ne suis ni un génie, ni un grand homme.
Il se tut de nouveau. Malgré son
désir d’exprimer ses sentiments avec sincérité, il lui semblait que ses paroles
cachaient la vérité. Son cœur lui dit d’être encore plus franc.
— ... Voilà le genre d’homme
que je suis. Que dire d’autre ? Je
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