La pierre et le sabre
de rosée tombèrent.
« ... Le pauvre garçon, je
suppose qu’il n’a pas la force de répondre », se dit Takuan.
— Takezō ! Takezō !
— Qu’est-ce que tu veux,
espèce de salaud de moine ? répondit l’autre avec férocité.
Takuan était rarement pris au
dépourvu, mais il ne put cacher sa surprise :
— Il est certain que tu
hurles bien fort, pour un homme à l’article de la mort. Es-tu sûr de n’être pas
en réalité un poisson ou un genre quelconque de monstre marin ? A ce
rythme, tu devrais durer encore cinq ou six jours. A propos, comment va ton
estomac ? Assez vide pour ton goût ?
— Trêve de bavardages,
Takuan. Contente-toi de me couper la tête et d’en finir.
— Oh ! que non !
Pas si vite ! Il ne faut pas faire à la légère ce genre de chose. Si je te
coupais la tête en cet instant précis, elle descendrait sans doute en planant
vers moi pour essayer de me mordre...
La voix de Takuan se perdit, et il
contempla le ciel :
— ... Quelle magnifique lune !
Tu as de la chance de pouvoir l’admirer d’un aussi excellent observatoire.
— Ça va, regarde-moi bien,
espèce de sale bâtard de moine ! Je vais te montrer ce que je suis capable
de faire si je le veux !
Takezō raidit toutes ses
forces et se mit à s’agiter violemment, lançant son poids vers le haut puis
vers le bas, presque au point de briser la branche à laquelle il était lié. Une
pluie d’écorce et de feuilles tomba sur l’homme qui se tenait en bas ; il
demeura imperturbable, mais sa nonchalance était peut-être un peu affectée.
Le moine se nettoya tranquillement
les épaules ; cela fait, il leva de nouveau les yeux.
— C’est ça, Takezō !
C’est bon de se mettre aussi en colère que tu l’es en ce moment. Vas-y !
Prends pleinement conscience de ta force ; montre que tu es un homme
véritable ; montre-nous de quoi tu es fait ! Aujourd’hui, les gens
croient que c’est un signe de sagesse et de caractère que de pouvoir maîtriser
sa colère, mais je dis que ce sont des idiots. Je déteste voir les jeunes aussi
réservés, aussi bien élevés. Ils ont plus de vitalité que leurs aînés, et
devraient le montrer. Ne te retiens pas, Takezō ! Plus tu deviens
furieux, mieux ça vaut !
— Attends un peu, Takuan,
attends un peu ! S’il me faut user cette corde avec mes seules dents, je
le ferai, à seule fin de t’attraper pour t’arracher les membres !
— Est-ce une promesse ou une
menace ? Si tu crois vraiment pouvoir le faire, je reste ici pour
attendre. Es-tu certain de pouvoir tenir ce rythme sans te tuer avant que la
corde ne se rompe ?
— La ferme ! cria Takezō
d’une voix enrouée.
— Dis donc, Takezō, tu
es vraiment fort ! L’arbre entier se balance. Mais j’ai le regret de t’annoncer
que je n’observe aucun tremblement de terre. Tu sais, l’ennui avec toi c’est qu’en
réalité tu es un faible. Ton genre de colère n’est rien de plus que de la
méchanceté personnelle. La colère d’un homme véritable exprime une indignation
morale. La colère pour des riens d’ordre émotionnel est l’affaire des femmes,
et non des hommes.
— Je n’en ai plus pour
longtemps, menaça Takezō. Je te saute à la gorge !
Il continuait de se débattre, mais
la corde épaisse ne montrait aucun signe d’affaiblissement. Takuan observa
quelque temps les opérations puis donna un conseil amical :
— Tu ferais mieux de
renoncer, Takezō : cela ne te mène à rien. Tu ne réussiras qu’à t’éreinter,
et pour quoi faire ? Tu aurais beau te tortiller tout ton soûl, tu ne
saurais briser une seule branche de cet arbre, sans parler de creuser une
brèche dans l’univers.
Takezō gémit à pleine voix.
Sa crise était passée. Il comprenait que le moine avait raison.
— ... Permets-moi de te dire
que tu pourrais faire un meilleur usage de toute cette force en travaillant
pour le bien du pays. Tu devrais véritablement tenter de faire quelque chose
pour autrui, Takezō, bien qu’il soit maintenant un peu tard pour t’y
mettre. Si tu avais ne fût-ce qu’essayé, tu aurais eu une chance d’émouvoir les
dieux ou même l’univers, sans parler des simples gens de tous les jours.
Takuan prit un ton légèrement
pontifiant :
— ... C’est dommage, grand
dommage ! Tu as beau être né humain, tu ressembles davantage à un animal ;
tu ne vaux pas mieux qu’un sanglier ou qu’un loup. Quelle tristesse qu’un beau
jeune
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