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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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par cet unique acte de loyalisme. Plus tu t’en
persuadais, plus tu te causais du mal à toi-même, et plus tu en causais aux
autres. Et maintenant, où en es-tu ? Pris à ton propre piège, voilà où tu
en es !
    Il fit une pause.
    — ... A propos, comment est
la vue de là-haut, Takezō ?
    — Cochon ! Jamais je n’oublierai
ça !
    — Tu oublieras tout, et
bientôt. Avant de te transformer en viande séchée, Takezō, regarde bien le
vaste monde qui t’entoure. Regarde le monde des humains, et modifie ton mode de
pensée égoïste. Et alors, quand tu arriveras dans l’autre monde et rejoindras
tes ancêtres, rapporte-leur que juste avant ta mort un homme appelé Takuan Sōhō
t’a dit cela. Ils seront transportés de joie d’apprendre que tu avais un aussi
excellent guide, même si tu as appris le sens de la vie trop tard pour apporter
autre chose que de la honte au nom de ta famille.
    Otsū, restée clouée au sol à
quelque distance, accourut, et s’en prit violemment à Takuan :
    — Tu exagères, Takuan !
J’ai tout entendu. Comment peux-tu être aussi cruel envers un homme qui ne peut
même pas se défendre ? Tu es un religieux, ou tu passes pour l’être !
Takezō ne ment pas en disant qu’il t’a fait confiance et t’a laissé le
prendre sans t’opposer de résistance.
    — Eh bien, que se passe-t-il ?
Ma sœur d’armes se retournerait-elle contre moi ?
    — Aie un peu de cœur, Takuan !
Quand je t’entends parler comme ça, je te déteste, je t’assure. Si tu as l’intention
de le tuer, alors tue-le, et qu’on en finisse ! Takezō est résigné à
la mort. Laisse-le mourir en paix !
    Dans son indignation, elle
secouait frénétiquement Takuan.
    — Silence ! fit-il avec
une brutalité inhabituelle. Les femmes ne connaissent rien à ces questions.
Tiens ta langue, ou je te pends là-haut avec lui.
    — Non, je ne me tairai pas,
je ne me tairai pas ! cria-t-elle. J’ai le droit de parler, moi aussi. Ne
t’ai-je pas accompagné dans les montagnes ? N’y suis-je pas restée trois
jours et trois nuits ?
    — Ça n’a rien à voir. Takuan Sōhō
punira Takezō comme il le juge bon.
    — Alors, punis-le !
Tue-le ! Maintenant. C’est mal de ta part de te moquer de sa détresse
alors que là-haut, il est à moitié mort.
    — Il se trouve que c’est ma
seule faiblesse, que de me moquer des fous de son espèce.
    — C’est inhumain !
    — Et maintenant, va-t’en !
Va-t’en, Otsū ; fiche-moi la paix.
    — Non !
    — Ne sois pas aussi entêtée !
cria Takuan en la repoussant d’un violent coup de coude.
    Elle se retrouva effondrée contre
l’arbre. Elle pressa son visage et sa poitrine contre le tronc, et se mit à
gémir. Elle n’avait jamais imaginé que Takuan pût être aussi cruel. Les gens du
village croyaient que même si le moine faisait ligoter durant quelque temps Takezō,
il finirait par se radoucir et par alléger le châtiment. Or, Takuan venait de
reconnaître qu’il avait la « faiblesse » d’aimer voir souffrir Takezō !
Otsū frissonna devant la sauvagerie humaine.
    Si Takuan lui-même, en qui elle
avait eu si profondément confiance, pouvait se montrer sans cœur, alors le
monde entier ne pouvait manquer d’être mauvais au-delà de toute imagination. Et
s’il n’y avait personne au monde à qui se fier...
    Elle trouvait à cet arbre une
étrange chaleur, comme si à travers son grand tronc ancien, si épais que dix
hommes n’en auraient pu faire le tour avec leurs bras étendus, courait le sang
de Takezō qui l’irriguait depuis sa précaire prison des hautes branches.
    Qu’il était bien fils de samouraï !
Quel courage ! La première fois que Takuan l’avait ligoté, et de nouveau à
l’instant même, elle avait vu le côté le plus faible de Takezō. Lui aussi
était capable de pleurer. Jusqu’alors, elle avait partagé l’opinion de la
foule, été influencée par elle, sans avoir sur l’homme lui-même aucune idée
authentique. Qu’y avait-il donc en lui qui poussait les gens à le haïr ainsi qu’un
démon et à le traquer comme un fauve ?
    Les sanglots lui secouaient le dos
et les épaules. Etroitement agrippée au tronc de l’arbre, elle frottait ses
joues barbouillées de larmes contre l’écorce. Le vent sifflait avec violence à
travers les branches supérieures, qui se balançaient largement. De grosses
gouttes de pluie, tombant à l’encolure de son kimono, lui coulaient dans le
dos,

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