La pierre et le sabre
rivalisaient pour attirer le public, chacune essayant de faire preuve
d’une certaine originalité en ajoutant à son répertoire des danses et des
chansons provinciales particulières. Les actrices, pour la plupart, étaient d’anciennes
prostituées ; pourtant, maintenant qu’elles avaient pris goût à la scène,
on les invitait à jouer dans quelques-unes des plus grandes maisons de la capitale.
Beaucoup d’entre elles prenaient des noms masculins, s’habillaient en hommes,
et jouaient de manière saisissante des rôles de vaillants guerriers.
Seijūrō, assis,
regardait fixement par la porte ouverte. Sous le petit pont de l’avenue Sanjō,
des femmes lavaient du linge dans la rivière ; des cavaliers traversaient
le pont dans les deux sens.
— Ces deux-là ne sont pas
encore prêtes ? demanda-t-il avec irritation.
Il était déjà midi passé. Alourdi
par la boisson et las d’attendre, il n’avait plus envie d’aller au Kabuki.
Tōji, encore ulcéré par la
nuit précédente, ne manifestait pas son exubérance habituelle.
— C’est amusant de sortir
avec des femmes, grommelait-il, mais pourquoi faut-il qu’au moment précis où
vous êtes prêt à partir, elles se mettent soudain à s’inquiéter de leur
coiffure ou de leur obi ? Quelle engeance !
Seijūrō songeait à son école.
Il lui semblait entendre le cliquetis des sabres de bois et le bruit des
lances. Que disaient ses élèves de son absence ? Nul doute que son frère
cadet, Denshichirō, exprimait sa désapprobation d’un claquement de langue.
— Tōji, déclara-t-il, je
n’ai pas vraiment envie de les emmener au Kabuki. Rentrons.
— Malgré votre promesse ?
— Mon Dieu...
— Elles étaient si contentes !
Si nous changeons d’avis, elles seront furieuses. Je vais les faire se
dépêcher.
Dans le couloir, Tōji jeta un
coup d’œil à l’intérieur d’une chambre où les vêtements des femmes gisaient en
désordre. Il s’étonna de n’y voir ni l’une, ni l’autre.
— Qu’est-ce qu’elles peuvent
bien fabriquer encore ? se demanda-t-il à voix haute.
Elles n’étaient pas non plus dans
la chambre voisine. Au-delà se trouvait une autre petite pièce sinistre, sans soleil
et sentant la literie mal tenue. Ayant ouvert la porte, Tōji fut accueilli
par un rugissement de colère :
— Qui est là ?
Tōji sauta en arrière, et
jeta un regard dans le sombre réduit ; le sol couvert de vieilles nattes
en lambeaux, il était aussi différent des agréables pièces du devant que la
nuit l’est du jour. Vautré par terre, une poignée de sabre gisant à la diable
en travers du ventre, il y avait là un samouraï mal tenu dont les vêtements et
l’aspect d’ensemble ne laissaient aucun doute : c’était l’un des rōnins
que l’on voyait souvent rôder, oisifs, dans les rues et les ruelles. La plante
de ses pieds sales fascinait Tōji. Sans faire aucun effort pour se lever,
il restait couché là, hébété.
— Oh ! excusez-moi, dit Tōji.
Je ne savais pas qu’il y avait un client là-dedans.
— Je ne suis pas un client !
vociféra l’homme en direction du plafond.
Il puait le saké ; Tōji
avait beau ignorer complètement qui cela pouvait bien être, il était sûr que l’homme
souhaitait le voir au diable.
— Excusez-moi de vous avoir
dérangé, se hâta-t-il de dire, et il se détourna pour s’en aller.
— Une seconde ! fit l’homme
avec rudesse en se soulevant légèrement. Ferme la porte avant de partir !
Saisi par sa grossièreté, Tōji
obéit et s’éloigna.
Presque aussitôt, il fut remplacé
par Okō. Sur son trente et un, il sautait aux yeux qu’elle voulait faire
la grande dame. Comme si elle grondait un enfant, elle dit à Matahachi :
— Allons, après qui en as-tu
encore ?
Akemi, sur les talons de sa mère,
demanda :
— Pourquoi ne viens-tu pas
avec nous ?
— Où ça ?
— Voir l’Okuni Kabuki.
La bouche de Matahachi grimaça de
répugnance.
— Quel mari voudrait se faire
voir en compagnie d’un homme qui court après sa femme ? demanda-t-il avec
amertume.
Okō eut l’impression de
recevoir une gifle. Les yeux étincelants de colère, elle dit :
— Qu’est-ce que tu racontes ?
Insinuerais-tu qu’il y a quelque chose entre Tōji et moi ?
— Qui a dit une chose
pareille ?
— Toi, à peu près, à l’instant.
Matahachi ne répondit rien.
— ... Et ça se dit un homme !
Elle avait eu beau lui lancer
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