La pierre et le sabre
ces
mots avec mépris, Matahachi se renferma dans son maussade silence.
— ... Tu m’écœures !
aboya-t-elle. Tu es toujours jaloux sans raison ! Viens, Akemi. Ne perdons
pas notre temps avec ce fou.
Matahachi tendit la main, et l’attrapa
par la jupe.
— Qui donc traites-tu de fou ?
Qu’est-ce que ça veut dire, de parler à son mari sur ce ton ?
Okō se dégagea.
— Et qu’est-ce qui m’en
empêche ? dit-elle avec aigreur. Si tu es un mari, pourquoi ne te
conduis-tu pas en mari ? Qui donc te nourrit, espèce de propre à rien, de
fainéant ?
— Euh...
— Tu n’as presque rien gagné
depuis que nous avons quitté la province d’Omi. Tu t’es contenté de vivre à mes
crochets, de boire ton saké et de traîner. De quoi te plains-tu ?
— Je t’ai dit que j’irais
travailler ! Je t’ai dit que je transporterais même des pierres pour le
mur du château. Mais ça n’était pas assez bon pour toi. Tu dis que tu ne peux
pas manger ci, que tu ne peux pas porter ça ; tu ne peux pas vivre dans
une petite maison... la liste des choses que tu ne peux pas supporter est sans
fin. Aussi, au lieu de me laisser faire un travail honnête, tu ouvres cette
sale maison de thé. Eh bien, il faut que ça cesse, tu m’entends ? Il faut
que ça cesse ! criait-il.
Il se mit à trembler.
— Cesser quoi ?
— Cesser de tenir cet
endroit.
— Et si je cessais, que
mangerions-nous demain ?
— Je peux gagner assez pour nous
faire vivre, même en transportant des pierres. Je pourrais me charger de nous
trois.
— Si tu désires à ce point
charrier des pierres ou scier du bois, pourquoi ne t’en vas-tu pas, tout
simplement ? Va, sois ouvrier, n’importe quoi, mais dans ce cas tu peux
vivre seul ! L’ennui avec toi, c’est que tu es né rustre, et seras
toujours un rustre. Tu n’aurais pas dû sortir du Mimasaka ! Crois-moi, je
ne te supplie pas de rester. Crois bien que tu es libre de partir au moment qui
te conviendra !
Tandis que Matahachi s’efforçait
de refouler ses larmes de rage, Okō et Akemi lui tournèrent le dos.
Pourtant, même une fois qu’elles eurent disparu, il resta là, debout, les yeux
fixés sur le seuil. Quand Okō l’avait caché dans sa maison proche du mont
Ibuki, il s’était cru chanceux d’avoir trouvé quelqu’un qui l’aimerait et
prendrait soin de lui. Mais maintenant, il trouvait qu’il aurait aussi bien pu
se faire capturer par l’ennemi. Lequel valait le mieux, en fin de compte ?
Etre un prisonnier, ou devenir l’animal familier d’une veuve inconstante, et
cesser d’être un homme véritable ? Etait-il pire de languir en prison que
de souffrir ici dans l’obscurité, constamment en butte au mépris d’une mégère ?
Malgré ses grands espoirs d’avenir, il avait laissé cette catin, avec sa face
poudrée et son sexe lascif, le rabaisser à son propre niveau.
« La garce ! »
Matahachi tremblait de colère. « La sale garce ! » Des larmes
lui montaient du fond du cœur. Pourquoi, oh ! pourquoi n’était-il pas
rentré à Miyamoto ? Pourquoi n’était-il pas retourné vers Otsū ?
Sa mère se trouvait à Miyamoto. Sa sœur aussi, et le mari de sa sœur, et l’oncle
Gon. Ils avaient tous été si bons pour lui !
La cloche du Shippōji
sonnerait aujourd’hui, n’est-ce pas ? Tout comme elle sonnait chaque jour.
Et la rivière Aida suivrait son cours, comme d’habitude, des fleurs s’épanouiraient
sur la berge, et les oiseaux annonceraient l’arrivée du printemps.
« Quel imbécile je suis !
Quel fou ! »
Matahachi se frappait la tête avec
ses poings.
Dehors, la mère, la fille et leurs
deux hôtes nocturnes s’avançaient en flânant dans la rue, et bavardaient
gaiement.
— On se croirait au
printemps.
— C’est normal. On arrive
presque au troisième mois.
— On dit que le Shōgun
viendra bientôt dans la capitale. S’il vient, vous deux, les dames, devriez
gagner beaucoup d’argent, n’est-ce pas ?
— Oh ! non, je suis sûre
que non.
— Pourquoi ? Est-ce que
les samouraïs d’Edo n’aiment pas s’amuser ?
— Ils sont bien trop
grossiers...
— Mère, n’est-ce pas la
musique du Kabuki ? J’entends des clochettes. Et une flûte.
— Ecoutez-moi cette enfant !
Toujours la même. Elle se croit déjà au théâtre !
— Pourtant, je l’entends,
mère.
— Suffit. Porte donc le
chapeau du Jeune Maître.
Les pas et les voix s’éloignaient
en direction du
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