La pierre et le sabre
plateau, elle prit un
récipient qui ressemblait à un encensoir, sur lequel elle disposa une pipe à
embouchure et fourneau de céramique.
— Voulez-vous fumer ?
demanda-t-elle avec politesse.
— Je croyais que l’on venait
d’interdire le tabac.
— C’est vrai, mais tout le
monde continue comme si de rien n’était.
— Bon, je vais fumer un peu.
— Je vous l’allume.
Elle prit une pincée de tabac dans
une jolie petite boîte de nacre, en bourra de ses doigts délicats le fourneau
minuscule. Puis elle lui mit la pipe à la bouche. Seijūrō, qui n’avait
pas l’habitude de fumer, s’en tirait assez maladroitement.
— Hum, amer, hein ?
dit-il.
Akemi éclata de rire.
— ... Où est passé Tōji ?
— Probablement dans la
chambre de Mère.
— Il a l’air d’aimer beaucoup
Okō. Du moins, à ce qu’il me semble. Je le soupçonne de venir ici sans
moi, quelquefois. Je me trompe ?
Akemi rit sans répondre.
— ... Qu’est-ce qu’il y a de
drôle à ça ? Je crois que ta mère l’aime assez, elle aussi.
— Je n’en sais absolument
rien !
— Oh ! bien sûr !
Bien sûr ! L’arrangement est commode, hein ? Deux couples heureux :
ta mère et Tōji, toi et moi.
De son air le plus innocent, il
posa la main sur celle d’Akemi qui reposait sur le genou de la jeune fille.
Sévère, elle l’écarta, ce qui ne fit qu’accroître l’audace de Seijūrō.
Comme elle se levait, il entoura de son bras sa fine taille et l’attira vers
lui.
— ... Ne t’enfuis pas,
dit-il. Je n’ai pas l’intention de te faire du mal.
— Lâchez-moi !
cria-t-elle.
— Bon, mais seulement si tu
te rassieds.
— Le saké... il faut que j’aille
en chercher.
— Je n’en veux pas.
— Mais si je ne l’apporte
pas, Mère se mettra en colère.
— Ta mère est dans l’autre
pièce, en charmante conversation avec Tōji.
Il essaya de frotter sa joue
contre le visage penché de la jeune fille, mais elle détourna la tête en
appelant frénétiquement au secours :
— Mère, Mère !
Il la lâcha, et elle s’envola vers
l’intérieur de la maison.
Seijūrō était déçu. Il
se sentait seul, mais ne voulait pas vraiment s’imposer à la jeune fille. Ne
sachant que faire de lui-même, il dit à voix haute : « Je rentre »,
et s’engagea en titubant dans le couloir, la face cramoisie.
— Jeune Maître, où allez-vous ?
Vous ne partez pas, hein ?
Soudain, Okō parut derrière
lui, et s’élança dans le couloir. Tandis qu’elle l’entourait de son bras, il
observa que sa chevelure était en ordre ainsi que son maquillage. Elle appela Tōji
à la rescousse ; ensemble, ils persuadèrent Seijūrō de
retourner s’asseoir. Okō apporta du saké, et tenta de lui remonter le moral ;
puis Tōji ramena Akemi dans la salle. Voyant combien Seijūrō était
penaud, la jeune fille lui sourit.
— Akemi, verse donc au Jeune
Maître un peu de saké.
— Oui, mère, répondit-elle,
obéissante.
— Vous voyez bien comment
elle est, n’est-ce pas ? dit Okō. Pourquoi veut-elle toujours se
comporter comme une enfant ?
— Cela fait son charme :
elle est jeune, dit Tōji en rapprochant son coussin de la table.
— Mais elle a déjà vingt et
un ans.
— Vingt et un ans ? Je
ne la croyais pas aussi vieille. Elle est si petite qu’elle paraît seize ou
dix-sept ans !
Akemi, soudain aussi vive qu’un
petit poisson, s’écria :
— Vraiment ? J’en suis
heureuse, car je voudrais avoir seize ans toute ma vie. Il m’est arrivé quelque
chose de merveilleux lorsque j’avais seize ans.
— Quoi donc ?
— Oh ! dit-elle en
joignant les mains contre son cœur, je ne peux en parler à personne, mais c’est
arrivé. Savez-vous dans quelle province je me trouvais alors ? C’était l’année
de la bataille de Sekigahara.
L’air menaçant, Okō intervint :
— Quel moulin à paroles !
Cesse de nous assommer avec ton bavardage. Va donc chercher ton shamisen.
Légèrement boudeuse, Akemi se leva
pour aller quérir son instrument. A son retour, elle se mit à jouer et à
chanter une chanson, plus désireuse, à ce qu’il semblait, de s’amuser elle-même
que de plaire à ses hôtes :
Ce
soir, alors
S’il
faut qu’il y ait des nuages,
Qu’il
y en ait,
Cachant
la lune
Que
je ne puis voir qu’à travers mes larmes.
S’interrompant, elle dit :
— Comprenez-vous, Tōji ?
— Je n’en suis pas
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