La pierre et le sabre
vous
dis !
Seul, Seijūrō conservait
une sobriété relative. S’en étant aperçu, Tōji lui demanda :
— Vous ne vous amusez pas, n’est-ce
pas ?
— Euh... Crois-tu qu’eux s’amusent
vraiment ? Je me le demande.
— Bien sûr que si ; c’est
l’idée qu’ils se font du plaisir.
— Ça m’échappe, quand je les
vois se comporter ainsi.
— Ecoutez : pourquoi n’irions-nous
pas dans un endroit plus tranquille ? Moi aussi, j’en ai assez d’être ici.
Seijūrō, l’air fort
soulagé, accepta sur-le-champ.
— J’aimerais aller là où nous
étions hier au soir.
— Vous voulez dire le Yomogi ?
— Oui.
— C’est beaucoup plus
agréable. Je me disais tout le temps que vous désiriez y aller, mais ç’aurait
été du gaspillage d’y emmener cette bande d’ours mal léchés. Voilà pourquoi je
les ai amenés ici : c’est bon marché.
— Alors, partons sans qu’ils
nous voient. Ryōhei peut s’occuper des autres.
— Faites semblant d’aller aux
toilettes. Je vous rejoins dans quelques minutes.
Seijūrō s’éclipsa
adroitement. Nul ne s’en aperçut.
Devant une maison peu éloignée,
une femme, debout sur la pointe des pieds, tâchait d’accrocher une lanterne à
son clou. Le vent ayant éteint la chandelle, la femme l’avait décrochée afin de
la rallumer. Sa chevelure fraîchement lavée tombait éparse autour de son
visage. Les mèches de cheveux et les ombres de la lanterne dessinaient des
motifs changeants sur ses bras tendus. Un léger parfum de fleurs de prunier
flottait dans la brise du soir.
— Okō ! Voulez-vous
que je vous aide ?
— Oh ! c’est le Jeune
Maître, dit-elle avec surprise.
— Attendez une minute.
Quand l’homme s’approcha, elle vit
que ce n’était pas Seijūrō mais Tōji.
— Ça va comme ça ?
demanda-t-il.
— Oui, parfait. Merci.
Mais Tōji examina la
lanterne, en conclut qu’elle était de travers, et l’accrocha de nouveau. Okō
s’étonnait de la façon dont certains hommes, qui chez eux eussent carrément
refusé leur aide, pouvaient se montrer serviables et respectueux dans une
maison comme la sienne. Souvent, ils ouvraient ou fermaient eux-mêmes les
fenêtres, sortaient leurs propres coussins, accomplissaient mille autres
petites corvées qu’ils n’auraient jamais songé à faire sous leur propre toit.
Tōji, feignant de n’avoir pas
entendu, introduisit son maître dans la maison.
Seijūrō, dès qu’il fut
assis, s’exclama :
— Quel calme !
— Je vais ouvrir la porte sur
la véranda, dit Tōji.
Au-dessous de l’étroite véranda
murmuraient les eaux de la rivière Takase. Vers le sud, au-delà du petit pont
de l’avenue Sanjō, s’étendait le vaste quartier du Zuisenin, le sombre secteur
de Teramachi – la « Ville des Temples » — et un champ de
miscanthus. On était près de Kayahara, où les troupes de Totomi Hideyoshi
avaient tué la femme, les concubines et les enfants de son neveu, le régent
assassin Hidetsugu, événement encore frais dans beaucoup de mémoires.
Tōji commençait de s’agiter.
— C’est encore trop calme. Où
les femmes se cachent-elles ? Elles n’ont pas l’air d’avoir d’autres
clients, ce soir. Je me demande ce que fait Okō. Elle ne nous a même pas
apporté notre thé.
Incapable d’attendre plus
longtemps, il alla voir pourquoi l’on n’avait pas servi le thé.
En sortant sur la véranda, il
faillit se heurter à Akemi, chargée d’un plateau laqué d’or. La clochette qui
se trouvait dans son obi tinta tandis qu’elle s’écriait :
— Attention ! Vous allez
me faire renverser le thé !
— Pourquoi es-tu si longue à
l’apporter ? Le Jeune Maître est là ; je croyais que tu l’aimais
bien.
— Regardez, j’en ai renversé.
C’est votre faute. Allez me chercher un chiffon.
— Ha ! ha ! Voyez l’effrontée !
Où est Okō ?
— En train de se maquiller,
bien sûr.
— Tu veux dire qu’elle n’a
pas encore fini ?
— Mon Dieu, nous avons été
occupées, pendant la journée.
— La journée ? Qui
avez-vous reçu, pendant la journée ?
— Ça ne vous regarde pas. S’il
vous plaît, laissez-moi passer.
Il s’écarta ; Akemi entra
dans la salle, et salua l’hôte :
— Bonsoir. C’est aimable à
vous d’être venu.
Seijūrō, feignant la
désinvolture, lui dit sans la regarder :
— Tiens, c’est toi, Akemi.
Merci pour hier au soir.
Il était gêné.
Sur le
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