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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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elle
posa, en effet, comme condition à sa reddition qu’on ne lui mît point dans ses
murs de garnison royale, tant par chicheté (ne voulant pas pourvoir à
l’entretainement de cette troupe) que par cette jaleuseté de franchise
municipale que l’on retrouve partout en ce royaume, nos bons bourgeois voulant
être tout ensemble très protégés du roi et n’en pas payer le débours. Qui pis
est, nosdits bourgeois d’Amiens, n’étant pas fort friands d’assurer eux-mêmes
les peines et les fatigues des gardes, avaient délégué à cette lassante,
ingrate et monotone tâche les plus pauvres de la ville. Mais hélas ! on ne
fait pas d’un misérable un soldat en lui mettant un morion sur la tête et une
pique à la main. La suite bien le prouva.
    Or, le cardinal Albert, qui commandait l’armée espagnole des
proches Flandres, n’ignorait rien de ces faiblesses par les ligueux peu
repentis qui s’encontraient dedans la place, et le capitaine Hernantello
recevant de lui cinq mille hommes de pied et sept cents chevaux dudit cardinal,
chemina toute la nuit de Doullens à Amiens et dépêcha à l’aube quelques soldats
vêtus en paysans, lesquels conduisaient un chariot plein de viandes et de
fruits, et demandèrent l’entrant à la porte de Monstrecut et l’obtinrent. Et
comme ledit chariot était engagé sous la herse relevée, un des soldats qui
portait un sac de noix sur sa tête en délia la gueule si dextrement que nombre
de noix churent à terre. Quoi voyant, les pauvres hères qui gardaient la porte,
ne pouvant à cette aubaine résister, se mirent à croupetons pour les ramasser
et en remplir leurs poches. En même temps, le soldat qui conduisait le chariot
coupa les traits des chevaux, tant est que, ceux-ci s’égaillant, le chariot
resta sous la herse et quand on la voulut clore, la bloqua. Les malheureux
gardes furent promptement dépêchés et le gros des Espagnols, accourant de tous
les replis de terrain où ils s’étaient cachés, en moins d’une demi-heure se
saisirent des portes, tours, forteresse, églises, places et carrefours, faisant
une immense picorée de canons et de munitions et mettant si impiteusement les
bourgeois d’Amiens à rançon pour racheter leurs vies que les coquefredouilles,
pour avoir voulu s’éviter les débours d’une petite garnison, en un battement de
cil perdirent tout.
    Le roi ne gâcha pas de temps à jérémier, ni à conter le menu
de l’histoire comme je viens de faire : il dit le fait tout brut et
s’accoisa, attendant que Rosny et les conseillers qui étaient là baillassent
leur opinion, se peut pour ce qu’il voulait tâter à quel degré s’encontraient
encore leur fermeté et leur fidélité à lui après ce terrible coup. En quoi,
s’agissant du moins de Rosny, il ne fut pas déçu.
    — Or bien, Sire ! dit-il d’une voix haute et
claire, il n’est remède ni dans le blâme d’autrui ni dans la plainte sur soi.
Amiens est prise. Il faut la reprendre ! À quelque prix que ce soit, il
nous la faut reprendre ! Or donc, Sire, ne vous mélancoliez point !
Rassemblez le ban et l’arrière-ban de votre bonne noblesse et mettons-nous le
cul sur selle et l’arme au poing !
    Je fis chorus et, avec un temps de retard, les conseillers
qui s’encontraient là, et dont deux ou trois que je ne veux nommer se
trouvaient être des ligueux mal repentis et se peut, en leur for, point trop
mécontents de cette male heure de la France (tant leurs cœurs corrompus
s’attachaient encore à l’Espagne), concoururent à leur tour à l’avis de Rosny.
Oyant quoi, le roi ayant jeté de l’un à l’autre son œil aigu, et paraissant
satisfait de cette unanimité (dont il n’était pas toutefois sans saisir les
nuances), il dit de cette façon vive et gaillarde qui n’était qu’à lui :
    — Mes amis, merci ! Dès la pique du jour, je
monterai à cheval et partirai parer au plus pressé : rassurer les villes circonvoisines
d’Amiens, lesquelles doivent être terrifiées à l’idée de subir sa fortune.
    Puis se tournant vers la marquise de Montceaux qui, assise
sur son cancan, sanglotait son âme, toutefois dans la plus gracieuse des poses,
et un tétin à demi dévoilé, il lui dit :
    — Mamie, j’ai assez fait le roi de France : il est
temps de faire le roi de Navarre.
    Allusion aux temps où, cousu comme tortue dans sa cuirasse,
il passait plus de temps sur son cheval que dans son lit, pour autant qu’il eût
même un lit, courant

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