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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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par monts et vaux pour échapper aux embûches. Suivit un
long silence pendant lequel il parut songeard et dois-je confesser ici que le
quart d’une seconde mon œil vagabond tomba sur celle des beautés de la
Gabrielle qui était à découvert et qu’elle n’avait peut-être pas conscience de
laisser voir, car sitôt quelle eut saisi mon regard à travers les larmes qui
obscurcissaient le sien – et de par ce sixième sens qu’ont les femmes et
qui les fait se retourner quand on envisage les mouvements de leurs dos –,
d’un geste vif et sans discontinuer ses sanglots, elle couvrit l’objet de mon
indiscrétion, ce qui n’eut d’autre effet que d’attirer sur lui l’attention de
tous et du roi.
    — Ma maîtresse, dit-il de ce ton enjoué et goguelu qui
plaisait tant à ses sujets, il nous faut quitter nos douces armes, vous et moi.
Et quant à moi, monter à cheval pour faire une autre guerre.
    Cependant, avant que de départir pour faire « une autre
guerre », Henri prit le temps de nous voir en particulier, Rosny et moi,
et décision de très grande conséquence et pour ladite guerre, et pour l’avenir
du royaume, il confia la haute main de ses pécunes à Rosny, étant profondément
dégoûté de la façon dont M. d’O et ses autres financiers avaient empli
leurs poches à ses dépens. Or, ayant calculé qu’il lui faudrait cent cinquante
mille écus par mois pour nourrir l’immense armée qu’il allait rassembler sous
les murs d’Amiens, et le trésor royal étant à sec – ses trésoriers lui
coûtant plus que la marquise de Montceaux – Sa Majesté permit à Rosny
d’user à la parfin de tous moyen et entreprise pour tirer le plus d’argent
possible de la nation. On recourut alors à ce vieil, à ce très vieil expédient
que Henri III avait condamné, mais auquel il avait lui-même recouru dans
la suite, lequel expédient, que je le dise enfin, consistait à vendre pour
trois ans tant à Paris que dans les provinces et régions, les offices et les
charges du royaume au plus offrant. Déplorable abus qui généralise la
corruption d’un bout à l’autre de l’État et gangrène de proche en proche ses
membres, puisqu’il va sans dire que le gautier qui a payé fort cher, par
exemple, une charge de juge pour trois ans, n’aura de cesse qu’il ne se soit
repayé sur le dos des justiciables !
    Pour moi, les artilleries, munitions, vivres et pécunes
étant amassés, mon fort délicat rollet était de les voiturer chaque mois ou
demi-mois de Paris à Amiens, soit que j’eusse à diriger l’escorte, soit
seulement à seconder Rosny.
    Or, belle lectrice, s’il plaît à vous de me prêter votre
mignonne oreille, j’y vais verser un conte touchant ces pécunes qui non
seulement vous ébaudira mais, se peut, vous éclairera aussi sur les étranges
mœurs des puissants de ce royaume.
    Madame (qui, se rebiscoulant de son intempérie,
s’était résignée à s’absenter, pour quelques années encore, des félicités
éternelles) nous invita fin mars, M. de Rosny et moi-même, à sa
table – grand honneur, certes, mais petite repue, la chère de la princesse
étant si Spartiate.
    Pour moi, je confesse que j’aimais prou Catherine de Bourbon
(maugré le long nez qui l’enlaidissait) pour la raison que sa naïveté me
laissait atendrézi. Il est vrai qu’elle avait d’assez beaux yeux qui n’étaient
pas sans rappeler ceux du roi son frère, mais moins vifs, étant comme embués de
ses vertus, lesquelles lui tenaient lieu de mari. En dépit en effet de son
rang, qui faisait d’elle le parti le plus enviable de la chrétienté, à
quarante-trois ans, elle restait fille encore, ne voulant pas d’un seigneur
catholique et les Français ne voulant pas pour elle d’un prince protestant [103] . Le ciel l’en consolait et aussi
cet avantage qu’elle avait de ne rien connaître des turpitudes de ce monde, ne
voyant jamais le mal et rougissant comme nonnette : comparaison qui l’eût,
de reste, affligée, se trouvant si roide huguenote.
    La repue finie, qui nous laissa Rosny et moi sur notre faim
(nos esprits animaux étant plus grossiers que ceux de la princesse), et la
table de la dînée étant encore dressée entre nous, son maggiordomo lui
vint annoncer qu’un certain Robin, qui se disait homme d’argent, la suppliait
très humblement de le bien vouloir admettre en sa présence. Ce à quoi
M. de Rosny, étant fort occupé à vendre, comme j’ai dit, pour

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