La pique du jour
trois
ans, les offices du royaume, pressa Madame de consentir, s’apensant que
ce Robin désirait se rendre acquéreur d’une charge.
Je crains, belle lectrice, que ce Robin-là n’aille fâcher
vos yeux, car il avait peu à se glorifier dans la chair, clochant d’une gambe
et louchant d’un œil. Il fit de prime à Madame des compliments à
l’infini, lesquels il répéta à M. de Rosny et à tout hasard à
moi-même (encore que je gage qu’il ne sût même pas mon nom) et me parut
présenter en sa petite et contrefaite personne un mélange d’humilité abjecte et
de sournoise impudence qui ne me parut guère parler en sa faveur. En outre,
quel que fût celui des deux yeux qu’on envisageât, le torve ou l’autre,
l’impression de fausseté qu’il vous laissait était la même et paraissait
irrémédiable.
— Votre Altesse, dit-il, pardonnez-moi, de grâce, de ne
point me génuflexer devant vous, mais (ajouta-t-il avec un soupir à vous fendre
le cœur) ma pauvre gambe en est la cause.
— Robin, dit Madame roidement et lui coulant le
long de son grand nez un assez froidureux regard, je n’appète pas à ces
génuflexions, lesquelles, à mon sentiment, ne devraient s’adresser qu’au Maître
du Ciel. Mais de grâce, venez-en au point. Le temps que nous passons en cette
vallée de larmes est bref. Ne le gaspillons pas en courbettes. Dites-nous votre
affaire, sans tant languir.
— Votre Altesse, dit Robin, puisqu’il faut vous obéir,
voici : j’ai l’espérance d’obtenir des Messieurs du Conseil du roi
l’affermement des offices de Tours et d’Orléans pour la somme de
soixante-quinze mille écus.
— Rosny, que signifie « l’affermement » ?
dit Madame laquelle, quand elle était ignorante, avait de l’esprit assez
pour le dire sans vergogne et tâcher de s’instruire.
— Robin, dit Rosny la face imperscrutable, désire
recevoir du Conseil du roi l’autorisation de vendre, à notre place, les offices
de Tours et de Poitiers.
— Et quel intérêt Robin a-t-il à cela ? dit Madame avec son naïf bon sens.
— Immense, dit Rosny dont l’œil se mit à briller.
— Comment cela ?
— La différence entre le prix qu’il obtiendra en vendant
lesdits offices et la somme globale qu’il offre meshui au Conseil du roi, cette
différence, dis-je, sera pour lui.
— Avec votre respect, monsieur, dit Robin, l’air
incrédiblement faux, cette somme ne sera pas immense. Elle me paiera tout
justement mes peines.
À quoi M. de Rosny sourit, mais ne dit rien.
— Mais, Maître Robin, dit Madame, qu’avons-nous
à voir en cette affaire ?
— Votre Altesse, dit Robin, ayant ouï dire que
M. de Rosny avait reçu la haute main sur les finances du roi,
j’aimerais qu’il n’empêchât pas, ou que vous-même le priiez de ne pas empêcher
l’affermement à ma personne des offices de Tours et d’Orléans, lequel
affermement je me fais fort, sans son obstruction, d’obtenir du Conseil du roi.
— En avez-vous touché mot audit Conseil ? dit
Rosny.
— Pas encore, dit Robin en baissant les yeux.
— Si j’entends bien, dit Rosny avec un imperceptible
souris, vous me considérez comme le principal obstacle à vos projets. Eh bien,
Robin ! reprit-il, vous qui êtes, semble-t-il, plein de ressources, dites-moi
comment vous comptez faire pour ôter cet obstacle de devant votre chemin ?
— Monsieur le Baron, dit Robin en se tortillant quelque
peu, et l’œil à nouveau baissé, j’aimerais que Madame, et vous Monsieur, me
fassiez le très grand honneur d’accepter de moi, en gage de mon respect pour
vous, ces deux humbles présents.
Ayant dit, il tira de son pourpoint deux diamants et les
déposa sur la table de la dînée et, comme le hasard le voulut, devant moi.
— Qu’est cela, Siorac ? dit Madame, qui avait
la vue un peu courte.
— Deux diamants, Votre Altesse.
— Et lequel est pour qui, Robin ? dit Rosny, qui
devant une si dévergognée impudence me parut hésiter entre l’indignation et le
rire.
— Le plus petit, dit Robin, d’une valeur de deux mille
écus est pour Son Altesse, et le plus gros, d’une valeur de six mille
écus, est pour vous, monsieur le Baron.
— Robin, dit Rosny qui parut cette fois tout près de
rire, vous n’êtes guère galant. Vous eussiez dû offrir le plus gros à
Son Altesse.
— Monsieur le Baron, dit Robin gravement, avec tout le
respect que je dois à Son Altesse, Son Altesse n’est pas
Weitere Kostenlose Bücher