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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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chargée des
finances du roi.
    À quoi, Madame et Rosny s’étant entre-regardés,
s’esbouffèrent à rire, mais en bref et froidureusement, et davantage dans la
dérision que dans la gaîté.
    — Robin, dit enfin Rosny d’un ton fort déprisant,
sachez que céans nous n’acceptons pas les gants.
    Expression bizarre qui m’étonna dans sa bouche, étant
empruntée à l’Espagne, où elle voulait dire « accepter un
pourboire ».
    — Et à la vérité, reprit-il d’un ton sévère, le roi
perdrait prou à votre barguin. Sachez, en effet, Maître Robin robeur, que j’ai
jà vendu à des particuliers la moitié des offices de Tours et d’Orléans pour la
somme de soixante mille écus, tant est que j’ai espérance de vendre l’autre
moitié pour la même somme, ce qui fera en tout cent vingt mille écus au lieu
des soixante-quinze mille écus que vous proposez pour l’affermement. La
différence est belle ! Et je préfère, quant à moi, qu’elle serve à
munitionner et à nourrir l’armée du roi sous Amiens qu’à remplir votre
poche ! Reprenez vos diamants, Maître Robin, poursuivit-il en se levant et
en parlant d’une voix forte et encolérée, et portez-les à ceux qui acceptent
les gants. À d’autres, Maître Robin, à d’autres ! Céans, c’est du roi seul
que nous acceptons les présents !
    Le Robin, l’œil faux et la tête basse, reprit ses diamants
avec une dextérité qui montrait bien que l’empochement lui était plus naturel
que le dépochement et, balbutiant des respects et des compliments, s’escampa en
reculant, faisant autant de demi-courbettes que sa gambe clochante le lui
permettait. Toutefois, je suis bien assuré que si, à cet instant, on eût pu lui
ouvrir le crâne, on n’eût trouvé dans ses mérangeoises ni confusion ni
vergogne, mais un grand déprisement pour ces maudits huguenots qui voulaient se
mêler d’être honnêtes à la tête de l’État.
    Pour moi, prenant promptement congé de Madame, je
saillis quasi sur ses talons et, tirant Luc à part, je lui commandai de suivre
le Robin très à la discrétion et de tâcher de savoir ce qu’il allait faire là
où il se rendait. Et comme je savais qu’étant grand joueur de dés au moins
autant que grand coureur de cotillons, Luc était toujours à court de
clicailles, je lui glissai à l’oreille : « Luc, deux écus pour toi,
si tu ne faillis. » Promesse qui lui donna des ailes.
    Revenant alors auprès de Madame, je trouvai Rosny
prenant congé d’elle, mais sur le su de la mission que j’avais confiée à Luc,
et Madame le priant de demeurer pour attendre le retour de mon page, il
se rassit. Et nous fûmes ensemble une grosse heure à deviser, avant que mon Luc
revînt hors de souffle, mais l’œil fort animé. Prenant à peine le temps de se
génuflexer devant Madame, tant il sentait l’importance de ce qu’il
allait dire, il commençait à bredouiller quand Madame lui dit, non sans
bonté, mais d’un ton ferme :
    — Mon enfant, prenez le temps de retrouver votre vent
et haleine. Parlez en articulant et tenez-vous droit !
    Quoique Luc eût le cheveu en bouclettes blondes et l’œil
azuréen, il fallait avoir la vue aussi courte que la princesse pour l’appeler
« mon enfant », ce qui tout ensemble flatta Luc et l’ébaudit, pour ce
qu’il allait vers ses seize ans et avait toutes les raisons de penser qu’il
était un homme.
    Néanmoins, n’étant pas la sorte de béjaune à être pris sans
vert, il fit à la princesse un fort gracieux et profond salut, se redressa et
dit en parlant haut et clair :
    — Votre Altesse, je suis entièrement dévoué à vos
ordres.
    — Bref, dit Rosny, qui avait la patience brève.
    — Le gautier, reprit Luc, en saillant d’ici, a couru
tout dret chez M me  de Sourdis.
    — Tiens donc ! dit Rosny en échangeant un regard
avec moi.
    — Que veut dire ce « tiens donc » ? fit Madame.
    —  Que M me  de Sourdis n’est
pas sans lien avec le chancelier de Cheverny.
    — Sans lien ? dit Madame.
    —  Madame, dit Rosny, Votre Altesse n’ignore pas
qu’il y a trois ans, quand le roi et la marquise de Montceaux furent compère et
commère au baptême du fils de M me  de Sourdis, la marquise
s’étant plainte, au moment où elle tenait l’enfantelet sur les fonts qu’il
était presque trop lourd pour elle, un plaisant qui se trouvait derrière la
marquise vint à dire qu’il ne fallait pas s’étonner qu’il fût si

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