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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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combien il était pointilleux sur les attentions qu’on lui
devait.
    — Eh quoi, Siorac, dit-il, de retour ? Est-ce que
vous tirez au pistolet à deux pas de chez moi ?
    — Des vaunéants, monsieur le Maréchal, dis-je en
souriant, qui m’ont voulu faire une écorne.
    — Que ne m’avez-vous dépêché un de vos gens ?
Tudieu ! J’aurais moulu menu ces coquins ! dit-il paonnant et
piaffant comme à son accoutumée, étant grand capitaine et vaillant, mais ne
pouvant qu’il ne s’en vantât urbi et orbi, et plus que jamais ce
matin-là, sa belle n’étant pas loin.
    — Ha, monsieur le Maréchal ! dis-je faisant le bon
courtisan pour en avoir plus vite fini avec lui, c’était là petit gibier
indigne de votre glorieuse main !
    À quoi il paonna plus encore, si plus se pouvait et,
souriant, se tourna vers la dame dans les douces faveurs de qui il appétait
d’entrer. Et pour moi, dois-je dire que si j’avais appartenu à ce suave sexe,
je n’eusse guère aimé Biron, avec son nez en bec d’aigle et ses yeux noirs,
durs et faux, profondément enfoncés dans l’orbite.
    Jetant un œil à l’alentour, je passais de couple en couple,
salué qui-cy qui-là par un « Hé quoi, Siorac ? De
retour ? » à quoi je répondais par un sourire, jusqu’à ce que,
parvenant jusqu’à Rosny, et toujours souriant des lèvres mais non de l’œil, je
lui jetai un regard connivent, et lui disant à l’oreille « Deux mots de
grâce ! ». Je passai sans m’arrêter et, la musique reprenant, allai
me poster dans l’encoignure d’une fenêtre où j’attendis Rosny, m’apensant, à
envisager ces seigneurs de si haute mine et ces dames si belles, ballant
indéfatigablement sous les chandelles brûlant à profusion dans les lustres
vénitiens, que si « l’affreux malheur » touchait à notre guerre
contre l’Espagne, c’en était bien fini de ces jeux et de ces danses.
    Rosny me rejoignant enfin, je lui dis sotto voce que
le roi le réclamait très urgemment en son Louvre, que je ne pouvais en dire
plus, n’en sachant pas plus, et que je l’allais attendre dehors dans une
carrosse avec Beringuen. À quoi voyant Rosny pâlir quelque peu, j’ajoutai que
le roi se portait comme un charme, que ce n’était pas là le point, que quant à
lui, il se hâtât de se tirer de là, Beringuen et moi ayant jà perdu beaucoup de
temps à nous dégager d’une embûche de la truandaille.
    Au Louvre, nous encontrâmes, nous attendant au guichet,
M. de Vie avec une face longue comme un carême qui, nous faisant à
voix basse le reproche d’avoir tant délayé, nous dit que le roi se trouvait
dans la petite chambre qui faisait suite à son cabinet aux oiseaux. Nous y
courûmes, Rosny rouge et suant d’avoir tant dansé, et nous vîmes le roi vêtu de
sa seule robe de nuit, marchant qui-cy qui-là à grands pas, les mains derrière
le dos, l’air chagrin et songeard ; et, assise sur un cancan, son blond
cheveu dénoué et sa vêture laissant voir la moitié d’un tétin, la marquise de
Montceaux, laquelle pleurait des larmes grosses comme des pois ; et enfin
appuyés tout droit contre les murailles, sans branler ni piper, une
demi-douzaine des conseillers les plus écoutés de Sa Majesté ; mais
ce qui me frappa le plus à l’entrant, ce fut le profond silence qui dans la
petite pièce régnait, lequel n’était troublé que par le bruit des bottines de
nuit de Henri sur le parquet.
    — Ha, Rosny ! Ha, Siorac ! dit-il en
s’arrêtant, mais il n’en dit pas plus, son vent et haleine paraissant lui
manquer.
    Et nous, nous génuflexant à tour de rôle devant lui, tout
soudain il retint la main de Rosny dans la sienne, et posant son autre main
dessus, il lui dit :
    — Ha, mon ami ! Quel malheur ! Quel affreux
malheur ! Amiens est prise !
    — Amiens ! s’écria Rosny. Hé, vrai Dieu,
Sire ! Une si grande et puissante ville ! Laquelle est quasi le
boulevard de Paris et met la capitale à deux doigts d’être elle-même
assiégée ! Mais, Sire, comment cela s’est-il pu faire ?
    — Hélas ! Hélas ! dit le roi. C’est un coup
du ciel ! Ces pauvres gens d’Amiens, pour avoir refusé une petite garnison
que je leur ai voulu bailler, se sont si mal gardés qu’ils se sont tout à plein
perdus.
    Le roi n’en dit pas plus alors, mais ce que j’appris plus
tard, je te le vais dire ici, lecteur, pour éclairer ta lanterne.
    Quand Amiens, qui était ligueuse, se rendit au roi,

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