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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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prisonniers dans l’étage du dessus, d’où j’ai ouï, par une
verrière ouverte, la plus céleste des voix. Je me suis alors apensé que c’était
celle de M me  de Saint-Paul et apprenant par mon
beau-frère, le marquis de Quéribus, que vous étiez née Caumont du Périgord, et
ma mère étant née Isabelle de Caumont, j’ai cru…
    — Et vous avez eu tort de croire, me coupa-t-elle, la
crête haute, car je suis Caumont, assurément, mais non point du Périgord. Et
encore que j’aie ouï parler de ceux-là comme étant de bonne maison, nous
n’avons en commun avec eux que le nom.
    — Ha ! Madame ! dis-je, je suis dans la
désolation de renoncer à l’espoir dont je m’étais flatté d’être votre cousin,
lequel espoir, étant né dans le même instant où j’ai ouï votre divine voix, a
crû immensément à jeter l’œil sur vous ! Mais puisque, poursuivis-je,
donnant à mon regard une expression mélancolique, je ne suis rien pour vous
qu’un gentilhomme que votre mari a cru bon de serrer chez lui prisonnier,
plaise à vous, Madame, de bien vouloir me bailler mon congé.
    Ayant dit, et sans attendre de réponse, et feignant d’être
quelque peu piqué, je lui fis un grand salut et gagnai la porte.
    — Tout doux, cria-t-elle, usant elle-même d’un ton plus
doux, si vous êtes, à l’étage au-dessus, le prisonnier de mon mari, vous êtes
céans le mien. Et vous ne partirez point que vous ne m’ayez expliqué comment,
pour parvenir à moi, vous êtes passé au travers d’une porte à double tour
close.
    Je lui contai alors ma râtelée sur la façon dont mon valet
m’avait procuré la clé qui ouvrait sa porte et la mienne, mais non, hélas,
celle qui donnait sur le rez-de-chaussée dans la ruelle. Cependant, tandis que
je lui faisais ce récit, elle m’envisageait en sa bien particulière guise, en
penchant sa jolie tête de côté et en m’espinchant du coin des yeux, ce qui
avait, je gage, pour but, de mettre en valeur la beauté de ses prunelles, et
pour effet de donner à son regard je ne sais quoi d’aigu et de dardé qui devait
retenir sur eux l’attention de ses admirateurs. Quant à mon propre regard, si
fort qu’il fût attiré par le sien, je dois confesser qu’il s’égarait parfois,
comme je le dis plus haut : ce qu’elle ne laissa pas d’apercevoir.
    — Marquis, dit-elle, quand j’en eus fini sur la
question des clés, à quoi elle avait marqué, maugré son petit manège, un très
grand intérêt, Marquis, poursuivit-elle en ouvrant tout grand son œil azuréen,
que vous êtes donc étrange ! Que regardez-vous là ?
    — Pour tout vous dire, Madame, dis-je en m’inclinant,
votre pié ! Lequel est le plus friand petit pié de la création !
    — Hé ! Monsieur ! Laissez là mon pié !
dit M me  de Saint-Paul avec tout ensemble un œil sourcilleux
et une moue ravie.
    Par quoi elle me parut exprimer dans le même temps des
sentiments contradictoires ; talent que je n’ai jamais vu qu’aux femmes et
qui me fait croire à l’infinie subtilité de ce sexe.
    — Du reste, ajouta-t-elle, peu disposée en dépit de son
dire, à passer à un autre sujet, tout un chacun possède un pié !
    — Madame, dis-je, saisissant l’esteuf au bond, il y a
pié et pié ! Avant de connaître le vôtre, quand mon regard s’attardait aux
beautés d’une dame, je rêvais à sa face, à ses longs cheveux, à son parpal
rondi, à son ventre douillet, que sais-je encore ! Mais jusqu’à ce jour
d’hui, je ne suis jamais descendu si bas en mon adoration.
    — Monsieur, dit-elle en souriant, vous devez plaire
auxdites dames : votre langue est si habile !
    — Il est de fait, Madame, dis-je d’un ton modeste mais
connivent, qu’on ne m’a jamais fait de plainte touchant l’habileté de ma
langue.
    — Ha ! Monsieur ! cria M me  de Saint-Paul
d’un air fort titillé et riant comme une nonnette, c’en est trop ! Vous
dépassez les bornes ! Louison, as-tu ouï ?
    — Madame, dit Louison, qui debout derrière le cancan de
sa maîtresse ne paraissait guère goûter le tour que prenait mon entretien avec
elle, j’ai ouï. Et je dois confesser que c’est bien de l’impertinence de la
part de Monsieur le Marquis de parler ainsi du pié de Madame, lequel, après
tout, n’est qu’un pié, fait pour marcher comme tous les piés ! Rien de
plus !
    — Paix-là, coquefredouille ! dit M me  de Saint-Paul
d’un air fort dépit, tu es une sotte

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