La pique du jour
qui fit tout mon malheur est mort. J’ai hérité de sa
fortune qui est considérable et je la tiens là, dans ce petit cabinet,
dit-elle, (désignant de la main un coffre en bois poli orné de cuir noir et de
ferrures d’argent). Mais je n’en peux toucher un sol, même pour mon attifure,
M. de Saint-Paul s’en réservant l’usance. Tant est que je ne sais pas
si c’est de moi ou de ce cabinet qu’il est le plus jaleux, passant, lorsqu’il
s’encontre céans à compter mes écus, plus de temps qu’à me mignonner, ce qui
n’est, de reste, que petite perte, car le maraud fait tout à la rustaude.
Toutefois, me voulant à la parfin, dans mon dégoût et mon désespoir, évader de cette
geôle-ci, je tirai un jour avantage du sommeil où l’avait jeté quelque excès de
vin pour le fouiller et lui rober sa clé, laquelle, à son désommeillou, il
chercha en vain, pour ce que je l’avais cousue dans ce petit carreau de satin
que vous voyez sur mon cancan. Hélas ! À son départir, je le décousis et
essayai la clé sur la petite porte basse qui donne sur le viret. Elle n’allait
point !
— Madame, dis-je, le cœur me toquant comme fol à cette
nouvelle, il se peut que la raison pour laquelle elle n’allait point sur cette
porte-ci, c’est qu’elle allait sur celle qui donne sur la ruelle. Dans ce cas,
Madame, poursuivis-je, haletant, il se peut que nous soyons sauvés, moi-même
détenant la clé de l’étage et vous celle du rez-de-chaussée.
— Il se peut que vous soyez sauvé, Monsieur, dit
M me de Saint-Paul, froidureusement assez, mais pour moi
j’ai réfléchi que ce serait folie de fuir sans ce petit cabinet qui contient
tout mon bien. Et comment le peux-je emporter sans mon carrosse et mes chevaux
que gardent dans nos écuries les arquebusiers espagnols ? Et à supposer
même que je réussisse à saillir des murs, en cette coche, qui sera le
cocher ? Comment atteindre Paris sans une forte escorte ? Comment me
défendre contre les troupes que Saint-Paul ne faillira pas de lancer à ma
poursuite ?
J’entendis bien à ces désespérées paroles qu’il serait pour
le moins malgracieux de quérir tout de gob de M me de Saint-Paul
qu’elle me remît la clé, afin que de pourvoir à mon seul salut. Et après
l’avoir envisagée quelques instants en silence, je dis avec gravité :
— Madame, votre mal heur ne me laisse pas impiteux.
J’en vois toute l’étendue. Mais de grâce, ouvrez les yeux : les temps
changent. M. de Guise est arrivé céans pour recouvrer en Reims une
autorité que M. de Saint-Paul avait usurpée, et n’est point décidé du
tout à lui laisser reprendre. Tant est que le combat qui s’engage entre eux
sera encharné et se peut, pour l’un ou l’autre, mortel. Je vous en ai dit
assez, Madame, repris-je à voix basse, pour que vous entendiez de quel parti je
suis et à quoi je vais céans, et de toutes mes forces, labourer, si je trouve
l’occasion de saillir de cette geôle. Et, Madame, si je ne faillis pas en cette
entreprise, je vous fais céans serment sur mon honneur de ne pas connaître de
repos avant d’avoir mené à bien votre évasion, que votre mari soit mort ou vif.
— Ha ! Monsieur ! dit M me de Saint-Paul
en se levant avec vivacité et en venant à moi les deux mains tendues, ses yeux
azuréens paraissant plus lumineux du grand espoir dont je l’avais nourrie, vous
aurez cette clé, et peux-je dire encore que mon instinct ne m’a pas trompée en
m’inspirant pour vous, et sur-le-champ, une amitié dont je sens qu’elle ne
pourra que croître…
Quoi disant, elle serra ses mains avec force, disant de par
ce serrement et le regard qui l’accompagnait ce que ses paroles laissaient
inachevé. Et qu’elle eût désiré par là, son avenir dépendant de lui, roborer le
serment que je venais de lui faire en allumant en moi un sentiment encore plus
exigeant que celui de l’honneur, le lecteur avisé serait excusable, en sa
mondaine sagesse, de l’apenser. Quant à moi, cependant, je m’y refuse. Quand
une dame me donne à croire qu’elle se prépare à me chérir, elle fait naître en
moi un émeuvement si délicieux que je préfère, plutôt que de l’étouffer au
berceau, suspendre, au moins pour quelques jours, le prudent scepticisme que
j’ai appris à observer dans le commerce des hommes. Ce n’est pas là aveuglement
mais, bien le rebours, clairvoyant ménage de mes émotions. Car il me paraît que
je
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