La pique du jour
embéguinée et tu n’entends rien à ces
choses-là, lesquelles sont bien trop délicates pour ta petite jugeote !
— Madame, dit Louison d’un ton piqué, je ne suis point
tant rustaude que Madame veut dire ! J’entends ce que j’entends ! Et
je trouve bien de la patience à Madame de souffrir que Monsieur le Marquis, qui
n’est même pas son parent, lui conte fleurette sur son pié ! Pourquoi pas
aussi sur la gambe ! Et sur le reste, pendant qu’il est en train !
— Niquedouille ! s’écria M me de Saint-Paul,
en rougissant du fait de son ire et de sa vergogne. C’est toi et ton babil que
je ne peux souffrir ! Hors d’ici, sotte caillette ! À
l’instant ! Et va clabauder dans les communs avec tes pairs !
— Madame, dit Louison en se retirant, mais par degrés,
et l’œil aussi respectueux que son ton l’était peu, je demande bien pardon à
Madame, mes pères étaient bonnes et honnêtes gens qui n’eussent pas
permis au premier gautier venu, fût-il gentilhomme, de trop caresser de la
langue les abattis de leur fille !
— Pour le coup, c’en est trop ! dit M me de Saint-Paul
qui avec une émerveillable vivacité, saisit la seule mule qui lui restait et la
lança à la volée à la face de sa chambrière, ce qui précipita quelque peu sa
retraite, encore que je sois bien assuré que l’huis reclos en un tournemain sur
elle, Louison demeura derrière lui pour ouïr plus outre.
J’étais en mon for très ébaudi de cette petite scène qui me
rappelait celles qui rebéquaient si souvent l’une contre l’autre ma mère, née
Caumont, et sa chambrière Cathau. Et pour cacher le sourire qui, maugré moi, me
venait aux lèvres, j’allai ramasser la petite mule rouge et or qui avait chu
devant la porte que Louison avait fermée sur soi, et la ramassant, toquai de
l’index à la porte, comme par mégarde, pour faire entendre à la bachelette que
je savais où se trouvait sa mignonne oreille. Quoi fait, je revins, la mule à
la main, vers M me de Saint-Paul, laquelle, haletante, les
deux mains posées sur son parpal houleux, et perdant quasiment son vent et
haleine, me dit secouée encore par sa vengeresse ire.
— La peste emporte la pécore ! Ma fé !
Demain, c’est résolu ! Je la renvoie dans la crotte de son village !
— Hé ! Madame, dis-je d’une voix haute assez, je
vous supplie de n’en rien faire ! Louison n’a parlé qu’en sa simplicité,
sans feintise ni méchantise ! En outre, elle vous aime et n’a pas tari sur
vos beautés, quand elle m’a amené jusqu’à vous.
Quoi disant, sous le prétexte de lui rendre sa mule, je
m’approchai d’elle au bec à bec, ma moustache effleurant son cou, et je lui dis sotto voce – Madame, gardez-vous de la renvoyer ! La
garcelette pourrait jaser à M. de Saint-Paul sur ma présence céans et
mon entretien avec vous !
Battant alors du cil, soit de l’effroi que lui donnait mon
propos, soit de l’émoi que lui baillait la chattemitesse caresse de ma moustache,
M me de Saint-Paul me fit du chef un signe d’assentiment et
s’accoisa, silence que je trouvai trop périlleux, notre porte ayant des
oreilles, pour le laisser durer plus outre.
— Madame, dis-je, puisque par ma faute vous n’avez plus
de chambrière, je vous prie de me laisser m’acquitter de son office et de vous
rechausser.
Ce à quoi elle voulut bien de la tête consentir, trop
oppressée encore pour retrouver sa voix. Et lecteur, tu peux bien penser que,
m’agenouillant devant elle, je pris tout mon temps pour remettre dedans ses
mules ses piés, lesquels je mignonnais, baisottais, et pastissais à gueule bec,
sous le prétexte, comme je le lui dis, de les réchauffer de leur froidure.
— Les voilà de présent chauds assez ! dit à la
parfin M me de Saint-Paul, qui ne manquait pas d’esprit.
Marquis, relevez-vous et prenez place sur cette escabelle, là, devant moi. Et
plaise à vous de m’expliquer pourquoi vous voulez jeter tant de choses au
hasard en attendant de prendre le large.
— Madame, dis-je, comment souffrir que
M. de Saint-Paul nous serre prisonniers en son logis, alors que c’est
M. le duc de Guise que nous sommes céans pour voir ?
— Je suis bien prisonnière, moi ! dit M me de Saint-Paul
avec une moue amère. Et cela depuis le jour où, par mon père contrainte, j’ai
marié ce funeste faquin, n’ayant fait, de père en mari, que changer de tyran.
Or, de présent, mon père
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