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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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poussiéreuse, chaque recoin. « Ben non, y a rien ici. Là non
plus. » Le chariot, partiellement visible dans l’ombre, juste au-delà du
seuil, telle une pièce de musée pittoresque, ne semblait pas avoir été touché
ni déplacé depuis des années. Son plateau était vide.
    Plusieurs semaines passèrent.
    Enfin Euclid émergea de la grange, tel qu’en lui-même et
heureusement indemne, secouant la tête et époussetant ses mains pleines de
paille. « On dirait bien que ce mort-là, il a pris la poudre d’escampette
y a déjà un moment. Et sur la pointe des pieds : il a pas laissé une seule
empreinte. Sois pas trop déçu. On sait jamais, un autre mort est bien fichu de
rappliquer.
    — Je crois qu’il a pris le train.
    — Le train ? Quel train ?
    — Celui dont Maman m’a parlé, qui passe sous terre. Le
chemin de fer clandestin, pour les esclaves en fuite. »
    Se retenant poliment, Euclid réagit à cette nouvelle avec un
gloussement courtois. « Ouh ! Là, tu m’épuises, mon petit navet.
C’est des gros cailloux que tu me balances aujourd’hui.
    — Mais je l’ai entendu, le train ! »
    De fait, il avait souvent imaginé les rails briqués et
séducteurs luisant dans un tunnel humide éclairé par des lampes, et entre deux
futiles pugilats avec ses draps tenaces il s’était ruiné le sommeil bien des
nuits, aussi immobile que possible, réduisant volontairement son souffle à un
soupir presque silencieux, à guetter de tous ses nerfs sans repos le claquement
révélateur des roues, le grondement saccadé de la locomotive, le long cri
perçant et tentateur du sifflet.
    « C’est pas qu’j’te crois pas, Liberty, moi aussi, je
l’ai entendu, ce train béni. Tout comme, j’imagine, notre ami défunt, qui s’est
payé un billet jusqu’à destination. Mais j’vais t’dire, mon lapin, si tu
comptes faire ce trajet-là, voyage léger, viens à la gare en avance, discute
pas avec le contrôleur et sois gentil avec tous ceux que tu rencontreras, parce
que tu sais jamais quand la loco risque d’exploser, ou le wagon de
dérailler. »

 
4
    Un soir, à la fin du printemps de l’année 1846, alors que
Liberty n’avait pas encore deux ans, la détonation menaçante de bottes de géant
retentit comme le tonnerre sur la véranda, le seuil, dans le couloir et
jusqu’au salon, où surgit un colosse braillard et hirsute avec des pistolets à
la ceinture et des verrues sur les mains. Il portait un chapeau ciré tout
ratatiné, d’un coloris énigmatique, et un coupe-vent vert miteux. Sur son
visage sombre et crasseux, fleuri d’une barbe noire si anarchique et
broussailleuse que personne n’eût été surpris d’en voir émerger quelque
créature sauvage, deux yeux vifs et féroces flamboyaient comme des pièces d’or
au fond d’un puits. On voyait sa chaussette par un trou dans sa botte, et son
pied par un trou dans sa chaussette. C’était l’oncle Potter. Le cousin de
Thatcher.
    Tante Aroline prit aussitôt congé, se retirant dans la
solitude délicate de sa chambre, tandis que Liberty, fuyant une tentative
amicale d’étreinte ursine, se réfugiait recroquevillé derrière le fauteuil
Windsor de sa mère, et de cet abri il observa, dans une transe d’émerveillement
écarquillé qui à cet âge ne différait guère de son état de conscience normal,
le style extravagant de cet homme magnétique dont la simple présence semblait
remplir les quatre coins de la pièce, sa voix faisant trembler les vases,
chaque geste exubérant de son corps libérant une odeur au sillage presque
visible, chaque bouffée fragrante de musc humain – tabac rance, cuir
encroûté de sel, cheval écumant ou tout autre arôme, à peine moins insolent,
d’un hypothétique arc-en-ciel olfactif – évoquant à l’enfant
impressionnable des univers vastes et complets, aussitôt compréhensibles bien
en deçà de la raison, même s’il faudrait des années à Liberty pour qu’il sache
vraiment ce qu’il savait.
    Et à mesure que Potter arpentait le tapis usé devant le feu
éteint, sa grandiloquence enflait pêle-mêle en rafales fiévreuses qui
mitraillaient le salon, un tir soutenu et postillonnant de projectiles verbaux
tels que « sang », « injustice », « barbare » et
« légitime », que le mince papier peint de ces murs avait absorbés
sans dommage mille fois auparavant, augmentés de munitions nouvelles comme
« Matamoros », « invasion », « Arista »

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