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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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vingtaine d’années plus tôt, une fois le
vieux loup de mer en retraite de la marine où il prétendait avoir servi
honorablement à bord de la fameuse frégate United States lors de son
combat contre le vaisseau britannique Macedonian : il avait apporté
des verres d’eau au glorieux capitaine Decatur en personne. Certes, il se vantait
également d’avoir été tour à tour pirate, espion, poète et avocat. Une rumeur
n’en persistait pas moins selon laquelle, en son temps, le capitaine Fenn avait
arpenté le gaillard d’arrière du Constantia, un négrier clandestin
tristement célèbre de Hampton Roads à Hilton Head, et qu’il avait été
sommairement suspendu de son commandement parce qu’un pourcentage proprement
scandaleux de la « marchandise » disparaissait ou arrivait au port
dans un état de dégradation inacceptable. Le capitaine Fenn s’était embarqué
pour son ultime traversée lors d’une de ses visites bisannuelles à son frère
Epheseus, soiffard de grande renommée dans tout le sud du New Jersey : un
léger excès de rhum avait provoqué une mauvaise chute hors de la diligence
Philadelphie-Trenton, et l’ouverture du crâne de Fenn sur une borne de pierre
malencontreusement située. Dix ans s’étaient écoulés depuis le fatal accident,
sans que jamais M’dame L’Orange ne manifeste à quiconque la plus infime preuve
de chagrin, le moindre signe de deuil digne de ce nom. Rares étaient ceux qui
savaient que, dans les affres de son combat quasi permanent avec le spiritueux,
le vénérable officier de marine était enclin à poursuivre sa femme dans la
maison et le jardin avec un fouet de cocher.
    Après sa mort, Sarah Fenn changea de nom et ouvrit son
école. Le salon fut aisément converti en une salle de classe fort plaisante, où
plusieurs rangées de pupitres miniatures, alignés avec une précision toute
militaire, faisaient face à l’imposant bureau de M’dame L’Orange, qui occupait
la moitié de la pièce en largeur, et à un éléphantesque tableau noir équipé de
bâtons de craie gros comme le poing. Sous les fenêtres, des étagères
regorgeaient d’une quantité impressionnante de livres, dont seul un examen
attentif des titres révélait l’assortiment, aussi disparate que peu approprié à
l’enfance : la Grammaire anglaise de Murray, La Fiancée de
Lammermoor, Recettes botaniques pour les soins et usages, L’Ami inconnu, les Principes de philosophie morale et politique de Paley, Les Vertus de
la frugalité chez la ménagère américaine et Tom Jones. Les murs
étaient ornés, en désordre, à environ un mètre de hauteur (« pour
l’édification des enfants »), d’une série de scènes illustrant Le
Voyage du pèlerin de John Bunyan, que M’dame L’Orange avait dessinées
elle-même dans un style primitif mais fervent, chaque silhouette rudimentaire
soigneusement nommée d’une main élégante : Fidèle, Ignorant, Messire
Bon-Vouloir, Messire Biens-du-Monde, etc. La Foire aux Vanités était dépeinte
comme une version brueghelienne d’un pique-nique du 4 Juillet, la Cité de
Destruction était indiscernable de la Cité céleste, et toutes deux
ressemblaient à Delphi. Son chef-d’œuvre, le combat paroxystique de Chrétien
contre Apollyon, représentait la bête comme un escargot dentu aux ailes de
chauve-souris frisottantes et risibles.
    Mais, en définitive, cet admirable cadre éducatif n’était
guère exploité. L’essentiel de l’instruction se déroulait à l’étage, dans la
chambre à coucher : M’dame L’Orange perchée au pied de son lit, les
enfants déployés devant elle sur une collection bigarrée de sièges –
malles, boîtes, un banc de charpentier, et un tabouret quelque peu instable
ayant appartenu à Winslow, son fils et héritier unique, sur lequel l’âge
d’homme et la folie de l’or semblaient s’être abattus en même temps,
déclenchant une combustion interne qui l’avait envoyé valser par la porte vers
la Calyfornie et un silence inquiétant que ni courrier ni rumeur n’avait rompu
depuis plus d’un an. Jonchant indifféremment les rebords de fenêtres, la
coiffeuse et le plancher nu de cette pièce Spartiate et sans ornement, une
seule touche personnelle : des pots, bocaux, chopes et verres bourrés de
violettes du jardin, les unes fraîches et d’un mauve aveuglant, les autres
flétries et brun tabac.
    Une journée d’école typique voyait M’dame L’Orange lire la
Bible à haute voix

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