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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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et
« Fort Alamo », qui prirent ces remparts au dépourvu.
    Thatcher, à demi incliné sur le sofa en crin qui se
déplumait, sa tête pâle flottant dans un perpétuel nuage de fumée de pipe,
assista au numéro de son cousin dans un silence perplexe. Roxana, elle aussi,
écoutait sans commentaire, s’interrompant de temps à autre dans son tricot
(tâche qu’elle exécrait absolument, mais dont elle semblait incapable de se
passer) pour poser une main rassurante sur le crâne aux cheveux lisses de son
fils.
    Soudain Potter se figea en plein élan pour foudroyer
Thatcher du regard et s’écrier : « Alors, qu’est-ce que tu en
dis ? Il faut riposter ! Tu es prêt à tenter l’aventure avec moi ou
pas ? »
    Thatcher prit son temps pour ôter la pipe de sa bouche.
Lorsque enfin il répondit, ce fut d’un ton froid et précis assaisonné de mots
tels que « crime », « déloyal » et « cupidité ».
    « Va au diable », marmonna Potter qui, effleurant
son chapeau et s’inclinant vaguement vers Roxana, sortit à grands pas décidés
de la pièce, de la maison, laissant la porte ouverte derrière lui, bondit sur
son cheval et, sans daigner s’arrêter en ville pour s’enrôler officiellement
(les Fish, aujourd’hui comme hier, préféraient toujours nager vers l’amont pour
échapper aux mailles du filet de l’État), partit au galop vers la Grande Fiesta
qui l’attendait sur le Rio Grande – des jours et des nuits sans sommeil,
sinon celui qu’il pouvait grappiller pendant quelques secondes, droit sur une
selle cahotante, se frottant les paupières de tabac à chiquer pour rester
éveillé, se lançant dans des discussions animées avec lui-même qui amusaient et
alarmaient les inconnus qu’il croisait, et qui tendaient à garder leurs
distances avec ce fou errant –, bravant tempête, inondation et chaleur de
fournaise pour atteindre enfin la bonne ville de Cincinnati, le Londres de
l’Ouest, où il sentit sur sa langue le goût de sang dans l’air, et où des
piétons accablés manœuvraient des troupeaux de porcs indociles pour s’assurer
la priorité dans la boue et le fumier des rues, et après un carrefour il tomba
sur une fosse pourrissante d’os, de cartilage et de boyaux, où çà et là une
petite queue ratatinée émergeait tire-bouchonnante de ce magma fangeux, l’un
des bras du delta de l’abattoir tout proche, dans lequel son cheval délicat
risqua un sabot timide pour s’y enfoncer aussitôt jusqu’au fanon avant de se
cabrer, totalement affolé, tandis que Potter imperturbable restait en selle,
ses yeux plissés attirés par la colonnade de cheminées qui s’élevaient, rotant
une fumée noire, au-dessus des toits au bout de la rue – des bateaux
fluviaux, une flottille entière, alignés docilement le long des docks comme des
truies devant l’auge – et, au loin, bleutées de brume rêveuse, les
collines boisées du Kentucky, et Potter tira sur les rênes, fit pivoter
brutalement sa monture et repartit d’où il était venu, en chevauchant deux fois
moins vite, sans adresser une syllabe à quiconque jusqu’à ce que les mêmes
bottes lourdes remontent les mêmes marches de la même véranda et martèlent le
couloir vers le salon pour attendre que Thatcher daigne lever les yeux de son
livre et que Potter puisse lui dire en face : « Va au diable. »
    Thatcher, qui n’avait pas pris la peine de se lever du sofa,
attendit quelques instants avant de répondre. « Il y aura d’autres
guerres, promit-il, de vraies guerres, des guerres justes, pleines d’honneur et
de gloire et de canonnades vertueuses. Tu auras encore ta chance. »
    Potter se détourna pour cracher dans la cheminée. « Pas
si je me retrouve encombré de tous ces principes qui ont l’air de t’enchaîner.
    — J’ai l’impression que c’est déjà le cas.
    — Va au diable », marmonna Potter, et, aussi
brusquement qu’il était apparu, il se volatilisa.

 
5
    Lorsque Liberty eut six ans, ses parents l’inscrivirent dans
une école réputée du voisinage, tenue par une veuve âgée qui se faisait appeler
M’dame L’Orange, même si tout le monde en ville savait qu’elle n’avait pas la
moindre rasade de sang français dans les veines, ni rien au demeurant d’orange
ou assimilé dans sa personne, à la possible exception de sa tête, affectée
d’une troublante rotondité agrumineuse. Elle et son mari, le capitaine Fenn,
s’étaient installés à Delphi une bonne

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