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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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fugitivement que Maury s’avançait brusquement avec
la célérité d’un ours enragé, mais non le canon luisant de son revolver
cisaillant l’air pour lui froisser la tempe gauche. Un instant il était
pleinement conscient du présent, et l’instant d’après il ne l’était plus. Plus
tard (quoi que pût vouloir dire cette étrange expression), quand la conscience
revint, s’infiltrant lentement, de son lieu d’exil, il se surprit à contempler
avec un détachement clinique un alignement parfait de champignons uniformément
gris et absolument identiques, dont aucun, constata-t-il avec un affolement
croissant, n’avait de pied. Son cerveau embrumé tentait de jongler avec ces
données visuelles quelque peu troublantes pour leur donner un sens rationnel
lorsqu’il comprit soudain que ce phénomène géométrique qu’il examinait avec un
émerveillement labyrinthique depuis, semblait-il, des jours entiers n’était pas
une forme nouvelle de vie végétale mais une rangée industrielle de rivets
d’acier fixés au sol contre lequel était plaquée sa joue sanglante. Il se releva
en titubant et remarqua, impassible, par le prisme encore fuyant de sa vision,
que Maury et Monday avaient disparu. La tête battant comme une cloche, dans un
monde devenu mou et flexible, où chaque objet se couvrait d’une étrange barbe
frisée, Liberty se fraya un chemin endolori dans les entrailles mouvantes du
navire pour gravir l’échelle caoutchouteuse qui menait à la passerelle, où il
tomba sur un tableau vivant plein de tension contenue qui aurait pu s’intituler
« Le Renversement de situation ». Maury, chaque main lestée d’un
revolver chargé, flanqué à sa gauche d’un Monday sinistre, maintenait le
capitaine Wallace et deux matelots nerveux dans une captivité inquiète que le
capitaine imperturbable ne semblait pas prendre très au sérieux.
    « Je constate que tu n’es pas excessivement
endommagé », remarqua Maury après un rapide coup d’œil à son petit-fils.
Il agita l’un des revolvers. « Va prendre place là-bas avec les autres
apostats.
    — Déposez vos armes, ordonna Liberty d’un ton habituellement
réservé aux chiens enragés. Vous ne savez plus ce que vous faites.
    — Ne sois pas condescendant, mon garçon. Je n’ai jamais
agi plus lucidement.
    — Votre grand-père, commença Wallace d’une voix plus
traînante et plus sardonique que jamais, est un homme aux mille facettes, dont
toutes, hélas, ne sont pas également sensées. Il tente de nous convaincre,
avec, je dois le dire, une efficacité limitée, de modifier notre cap pour faire
voile vers la destination ô combien exotique de… » – il regarda poliment
vers Maury – « … je crois que vous avez mentionné Rio de Janeiro,
c’est bien cela ? Et franchement, je me suis senti tenu de l’aviser, à mon
grand regret, qu’un tel détour est hors de question, malgré les indéniables
charmes latins dudit port, lesquels, je puis vous l’assurer, ne sont pas
négligeables.
    — Si vous préférez, l’avertit Maury, je peux, d’un
simple frémissement de mon index, vous expulser dans l’instant vers un séjour
plus chaud et plus vivant.
    — Mais faites donc, rétorqua le jovial capitaine, et
une fois là-bas je promets de vous garder une place à table. À présent,
poursuivit-il tandis que sa légèreté s’évaporait aussi brusquement qu’elle
était survenue, donnez-nous ces armes ridicules avant de faire du mal à
quelqu’un, probablement à vous-même. » Il risqua un pas en avant.
    « Arrêtez ! menaça Maury en agitant frénétiquement
les pistolets. Vous ne voudriez pas avoir un vilain trou dans votre bel habit,
n’est-ce pas ?
    — Grand-père, implora Liberty, rendez-vous. Vous n’avez
aucune chance ! Vous êtes seul contre tous.
    — C’est l’histoire de ma vie, mon garçon. Mais on
apprend à se tailler un chemin dans la jungle avec les moyens du bord.
    — Je vous en prie. Nous sommes tous déjà assez éprouvés
comme ça.
    — Oui, renchérit le capitaine. Laissez la raison
l’emporter.
    — Capitaine Wallace, j’ai renié les contraintes de la
raison dès mon âge tendre, car tout jeune déjà j’avais constaté la totale
impuissance de la logique face au fonctionnement réel de ce monde arrogant, et
je ne me laisserai pas sermonner par un marmot à peine sevré, ni dicter ma
conduite par un cabot troglodyte buveur de gin. Monday, ordonna-t-il d’un ton
sec, va

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