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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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C’était
une véritable cohue, qui finissait par gêner la circulation. Ils avançaient
péniblement, et beaucoup, de cet exode, ne revinrent pas. En effet, les avions
allemands, les Stukas, mitraillèrent et bombardèrent des centaines de réfugiés,
ajoutant leur œuvre de mort à une désolation déjà grande.
    Nous étions en territoire occupé. Une fois de plus, il
fallait subir l’envahisseur. Des nouvelles nous parvenaient, qui nous
indignaient et nous effrayaient à la fois : dans des villages voisins, à
Courrières, à Oignies, les Allemands avaient incendié les maisons et fusillé
une centaine d’habitants.
    — Pourquoi ? Mais pourquoi ? demandai-je
à Charles, lorsqu’il m’apprit la nouvelle.
    — Ils se sont vengés. Ils avaient subi, la veille,
une vive résistance de la part de l’armée française.
    Je restai incompréhensive. Était-ce une raison pour massacrer
des femmes, des enfants ? Peu à peu, mêlée à notre terreur, une haine de l’ennemi
montait dans les esprits.
    Nous apprîmes qu’ils avaient conquis Paris, le 14 juin, et
puis, le 17 juin, que le gouvernement français avait demandé l’armistice. Ce
fut, dans le coron, une explosion de colère. Beaucoup étaient outrés, indignés.
    — Nous ne serons pas allemands ! disaient-ils.
Jamais ils ne pourront nous obliger à nous avouer vaincus !
    J’ai vu, ce jour-là, des vieux qui pleuraient, de ceux qui
avaient participé à la Première Guerre. Ils ne comprenaient pas. Et c’était
Pétain, un maréchal, un survivant de l’épopée de 1914-1918, qui venait d’annoncer
la capitulation ! Ils ressentaient cela comme une véritable trahison.
    Le lendemain, de Londres, un général de l’armée française, Charles
de Gaulle, appela tous les Français à la résistance. De ce jour, nous écoutâmes
tous fidèlement Radio-Londres.
    La vie devenait de plus en plus difficile. Nous eûmes des
cartes de rationnement. Les avantages acquis sous le Front populaire furent
annulés. La semaine de quarante-huit heures fut rétablie, et les mineurs durent
travailler un dimanche sur deux.
    — Vois-tu, me disait Charles, ils veulent nous
faire extraire le plus de charbon possible, pour l’ennemi. Ça ne peut pas aller !
    A quelque temps de là, une bombe fut lâchée par un avion
allemand sur la fosse 6, à Haillicourt, et déclencha un coup de poussière
dans la salle du triage. En un instant, le criblage fut transformé en brasier. Des
hommes et des femmes furent brûlés vifs. Parmi les victimes se trouvait un
neveu de Jeanne, le fils de son unique frère.
    Cette épreuve fut, pour ma belle-mère, le coup de grâce. Je
la vis revenir de l’enterrement, le regard perdu, l’air hagard. Elle semblait
avoir laissé là ses dernières forces.
    Peu de temps après, elle s’alita. Elle avait attrapé une
mauvaise toux, et son état empira rapidement. Anna étant occupée avec son bébé,
j’allai la soigner. Pierre fit venir le médecin, qui, après l’auscultation, hocha
la tête avec tristesse. Il donna une potion à prendre, des ventouses à
appliquer. Je le reconduisis à la porte :
    — Qu’a-t-elle, exactement, docteur ? Est-ce
grave ?
    Il me regarda sans répondre, et je lus dans ses yeux son
hésitation.
    Alors j’insistai :
    — Dites-le-moi franchement, je préfère savoir. Est-ce
vraiment grave ?
    Il soupira :
    — Sa maladie par elle-même n’est pas grave, non. C’est
son corps qui est usé. Elle ne veut plus vivre et, malheureusement, rien ne
peut ramener à la vie quelqu’un qui préfère se laisser mourir.
    Je ne répétai pas ces paroles à Pierre. Il était déjà assez
perdu, et sa santé, à lui non plus, n’était pas bonne. Il s’essoufflait très
vite, il devait marcher lentement, le moindre effort lui était pénible. Je
retournai près de ma belle-mère et lui fis boire sa potion. Elle retint mon
poignet :
    — Madeleine, demanda-t-elle d’une voix tendue
rauque par ses accès de toux, qu’a dit le docteur ? Je vais mourir, n’est-ce
pas ?
    Elle ne me laissa pas le temps de protester par un mensonge.
Elle reprit, comme pour elle-même :
    — C’est aussi bien, je n’en peux plus. Je vais
enfin pouvoir les rejoindre, mes deux enfants. Il y a si longtemps qu’ils m’attendent.
Marie surtout… Je vais la retrouver, ma petite fille, après toutes ces années, qui
m’ont paru si longues…
    Incapable de prononcer un mot, je luttais contre mes larmes.
Elle vit mon

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