La Poussière Des Corons
allait bien, qu’il nous
aimait et pensait à nous. Et il terminait par cette phrase, adressée à moi
seule : « J’ai compris beaucoup de choses, et je te demande pardon
pour le mal que je t’ai fait. Je t’aime. »
Je restai là, au milieu de ma cuisine, follement heureuse. Une
grande douceur descendait sur moi, une paix profonde m’envahissait, chassant
des mois et des mois d’inquiétude, de tourment, de désespoir. Je regardais sans
la quitter des yeux cette lettre que je tenais, et ce fut en voyant de grosses
larmes tomber sur le papier que je compris que je pleurais.
Sans attendre un instant de plus, je courus jusque chez ma
mère, pour lui faire partager ma joie. J’arrivai chez elle essoufflée et
radieuse. Sur le moment, elle s’étonna, presque inquiète :
— Madeleine ! Que se passe-t-il ?
Je lui tendis le papier :
— Regarde, maman ! Je viens de le recevoir.
Elle prit la feuille, lut. Je vis se lever, dans ses yeux, une
joie identique à la mienne.
— Ma chérie ! Je suis si heureuse pour toi.
Nous nous sommes retrouvées dans les bras l’une de l’autre, et
le même bonheur ému était dans nos cœurs.
Le soir même, lorsque Charles rentra, je ne tenais plus d’impatience
et de joie. Dès qu’il croisa mon regard, il comprit qu’il y avait quelque chose.
L’allégresse que je ressentais devait se lire dans mes yeux. Il me dit :
— Madeleine ! Qu’y a-t-il ?
Sans un mot, en souriant, je lui tendis l’enveloppe. Il me
regarda, incertain. Je lui souris de nouveau, avec un geste d’encouragement. Alors
il prit la lettre, et lut. Lentement, il releva la tête. Dans son visage encore
noir de charbon, ses yeux clairs brillaient. D’une voix enrouée par l’émotion, il
dit :
— Enfin, il a compris. Je te le disais bien, Madeleine,
que c’est un bon petit.
Oui, il lui avait fallu du temps pour revenir vers moi, mais
ce moment était arrivé. Je ne pensais plus à ces jours, ces mois passés pendant
lesquels je m’étais torturée. Ils étaient oubliés, balayés par la joie intense
et merveilleuse que je ressentais.
Nous lui avons répondu, et j’ai vécu dorénavant pour ses
lettres. Il avait le droit d’écrire deux fois par mois, et nous apprîmes à
connaître ces petites feuilles de papier blanc administratif, dans lesquelles
il nous racontait sa vie.
Je passai beaucoup de temps à confectionner des colis, que
nous pouvions envoyer à raison d’un colis de cinq kilos tous les deux mois et
de deux colis d’un kilo par mois. Nos moyens étaient limités, car le
rationnement sévissait toujours autant. Alors nous nous privions davantage.
— Comment peut-on se nettoyer avec un savon qui
ressemble à un caillou ? disait Charles. Il ne mousse pas, on dirait de l’argile !
Je pris l’habitude, comme d’autres femmes dans le coron, de
remplacer le savon par de la saponaire, que nous allions chercher dans les
champs.
Au mois de juin, toutes les fosses du Pas-de-Calais se
mirent en grève. La raison en était le manque de nourriture, l’exigence d’un
salaire plus élevé. Mais, de manière plus profonde et inavouée, c’était pour
les mineurs une façon de montrer leur hostilité envers l’occupant, une sorte de
résistance pour ralentir la production. Ils avaient l’impression, en extrayant
du charbon pour l’ennemi, de travailler contre leur propre pays, et voulaient, dans
la mesure du possible, empêcher cet état de choses.
La riposte des Allemands ne se fit pas attendre. Des
affiches ordonnèrent la reprise du travail, avec des menaces pour ceux qui
refuseraient ou amèneraient la perturbation. Ils décidèrent que les rations
alimentaires seraient proportionnées à l’effort fourni, prenant par là les
mineurs à leur propre piège, et ils procédèrent à des arrestations. Nous
apprîmes qu’ils en avaient arrêté plus de trois cents dans le bassin. Certains
furent déportés, d’autres emprisonnés, quelques-uns fusillés.
La haine et la terreur grandissaient. Moi qui n’aimais pas
beaucoup les grèves, sachant combien elles pouvaient être dramatiques, j’étais
en proie à l’inquiétude. Je disais à Charles :
— C’est de la folie de faire grève en ce moment !
Déjà en temps ordinaire, ça peut toujours tourner mal, mais ici, en pleine
guerre, et en pleine occupation de surcroît !
A quoi Charles répondait invariablement :
— Mais, nous ne pouvons pas, non plus, laisser
faire ! Ils nous
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