La Poussière Des Corons
Henri ? Ou bien une sorte de fuite devant une
réalité qu’il ne pouvait admettre, en ce qui me concernait ? Comment
savoir ? Dans le doute qui me rongeait, je me disais que, s’il lui
arrivait quelque chose, ce serait encore moi la coupable.
J’écoutais avec une nouvelle attention les informations. J’entendais,
autour de moi, discuter les hommes, j’essayais de me rassurer quand ils
disaient que rien de bien grave ne se passait. C’était la « drôle de
guerre », une guerre pour rire. Nous vivions dans une sorte d’attente. Je
voyais, sur les murs, des affiches qui disaient : « Nous vaincrons
parce que nous sommes les plus forts. » Certains, les plus optimistes, affirmaient
que tout serait bientôt terminé. D’autres restaient dans l’expectative. Et moi,
égoïstement, je ne pensais qu’à mon enfant.
Juliette vint m’apporter une lettre de lui qu’elle avait
reçue. Il avait écrit à sa marraine, mais pas à moi. Il m’en voulait donc
encore ! C’était un mot assez court, dans lequel il disait qu’il était à
la frontière, qu’il ne se passait rien d’important. Il se portait bien, Henri
également. Il terminait en l’embrassant très fort ainsi que Germain. Pas un mot
pour moi, ni pour la famille. Rassurée de savoir qu’il allait bien, j’étais
déchirée, en même temps, par une telle indifférence.
Juliette vit ma tristesse :
— Si tu veux, me proposa-t-elle, je ne te
montrerai plus ses lettres.
— Si, je préfère les voir. Elles m’apportent la
preuve qu’il est en bonne santé. C’est le plus important, après tout.
Elle me laissa l’adresse, et Charles, le soir même, se
décida à lui écrire. Il lui donna des nouvelles de nous tous, et lui parla de
notre inquiétude. Jean ne répondit jamais. Cela me fit encore plus mal, et je
suppliai Charles de ne plus écrire.
Ma mère et mes beaux-parents, comme moi, s’inquiétaient. Ma
belle-mère vivait en dehors du monde. Même l’annonce d’une prochaine naissance,
au foyer de Georges et d’Anna, n’avait pas réussi à la ramener vers nous. Pierre
se désespérait de la voir mourir lentement de chagrin, sans pouvoir la retenir
ni l’aider. Ma mère essayait bien de la secouer, de temps en temps, mais Jeanne
haussait les épaules, dans un geste empreint d’un complet désespoir :
— Je n’ai plus la force de vivre, Louise, disait-elle
dans un souffle.
Moi qui tremblais chaque jour pour Jean, je la comprenais. Je
me disais que, si je perdais mon enfant, comme elle je n’aurais plus qu’à me
laisser mourir.
Au début du printemps, ma belle-sœur Anna mit au monde un
fils. J’allai l’aider chaque jour, tout le temps qu’elle fut alitée. Je faisais
son ménage, je préparais le repas de Georges, je lavais les langes du bébé. Je
la regardais, dans son lit, heureuse et épanouie, tenant contre elle son enfant
qu’elle nourrissait. Je me souvenais, avec une acuité douloureuse, de la
naissance de mon propre fils, qui avait choisi de me quitter. Alors je
détournais la tête pour cacher mes yeux pleins de larmes.
Georges était très fier de son fils. Il rayonnait :
— As-tu déjà vu un plus bel enfant, Madeleine ?
Je souriais, j’approuvais. La joie et la fierté que je
voyais dans leurs yeux, à tous les deux, rendaient encore plus fort mon besoin
de Jean.
Charles fut choisi pour être le parrain du petit. Il fut
appelé Paul, et le baptême eut lieu le mois suivant. Ma belle-mère, quand elle
prit son petit-fils dans ses bras, sembla, pour un instant, s’éveiller de sa
tristesse habituelle.
— Je voudrais, me chuchota Anna, que cet enfant
puisse la ramener à la vie.
Je le souhaitais aussi. Mais je savais la douleur de Jeanne
trop profonde pour être surmontée.
La guerre continuait, et, bientôt, tout changea. En avril, les
Allemands envahirent le Danemark et la Norvège, puis, en mai, le Luxembourg, la
Hollande et la Belgique. Tout de suite après, ils furent en France. Le mois de
mai fut un véritable cauchemar. Chaque jour, une ville tombait, prise par les
Allemands. Leur avance semblait inexorable. Nous commencions à entendre l’écho
des bombardements, qui réveillaient en moi une terreur que j’avais crue, à tort,
oubliée.
Il y eut des files de réfugiés, qui venaient de Belgique, et
du nord de la France. Nous les voyions passer, fuyant l’avance allemande, emmenant
tout ce qu’ils pouvaient dans des brouettes, des baluchons, des valises.
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