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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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l’aimais tant. C’était mon frère, et, lui mort, une
partie de mon enfance meurt aussi.
    Je n’osai pas comprendre :
    — Juliette ! Que veux-tu dire ? Est-ce
que…?
    Elle se laissa tomber sur une chaise, leva vers moi un
regard douloureux :
    — Henri a été tué le 31 mai, près de Dunkerque. Gerda
a reçu l’avis officiel, hier. Elle est comme folle, elle n’arrive pas à
réaliser. Et ce sont des Allemands, des hommes de son pays, qui ont tué son
mari ! Elle ne fait que pleurer. Et moi, je suis bien malheureuse aussi.
    Je posai une main sur son épaule, en un geste de consolation.
Je comprenais sa peine ; moi aussi, j’éprouvais une certaine tristesse. Je
me souvenais du Henri de ma jeunesse, celui qui m’avait éblouie, séduisant et
charmeur, l’espace d’un été.
    — Pardonne-moi, dit Juliette, en s’essuyant les
yeux. J’ai tant de peine ! C’est mon unique frère, tu comprends.
    Je ne pouvais pas répondre. Subitement, ma gorge s’était
serrée, une pensée m’était venue : et Jean ? Que lui était-il arrivé,
à lui ? Il devait être avec Henri, lorsque celui-ci avait été tué, puisqu’ils
étaient partis ensemble. Et si, lui aussi…? J’eus soudain la gorge sèche.
    Juliette se leva, pitoyable.
    — Au revoir, Madeleine. Cette guerre est moche !
Et le pire, c’est qu’on ne peut rien faire.
    Je l’embrassai avec affection, sans un mot. À quoi bon lui
parler de la crainte qui, dorénavant, hanterait chaque instant de ma vie ?
    Le soir même, je racontai à Charles la visite de Juliette. Je
vis la même pensée inquiète assombrir son regard. J’eus peur, et ne pus m’empêcher
de demander, la voix rauque :
    — Charles, crois-tu que Jean, lui aussi ?…
    Il haussa les épaules avec incertitude :
    — Ça ne veut rien dire, Madeleine. Attendons, et
espérons.
    Il me tendit les bras. Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre,
essayant de puiser dans notre amour mutuel un peu de courage, de réconfort. Mais
nous savions bien que, jour après jour, la peur de recevoir une mauvaise
nouvelle nous ferait trembler.
    Il fallut vivre ainsi, pourtant. Les jours, les semaines se
traînaient, sans aucune nouvelle de Jean. Où était-il ? Je craignais
toujours d’apprendre qu’il avait été tué, et, en même temps, je n’en pouvais
plus de rester ainsi dans l’incertitude. Douloureuse et insupportable, l’angoisse
me consumait le jour, me tenait éveillée la nuit. Je me mis à maigrir.
    Cela dura cinq mois, cinq longs mois interminables, avec des
alternatives d’espoir et de découragement. À travers les informations
contradictoires qui nous parvenaient, nous avons compris qu’il y avait de
nombreux prisonniers de guerre, et que pour eux des camps se constituaient. Comment
savoir si c’était le cas pour Jean ? Ma mère était aussi inquiète que moi.
Charles essayait de nous rassurer.
    — Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, disait-il
avec un enjouement forcé.
    Mais il ne parvenait pas à nous convaincre.
    Et puis, un matin d’octobre, je reçus une carte de la
Croix-Rouge. J’eus peur et hésitai un instant avant de la lire. Enfin je m’y
décidai ; ma main tremblait tellement que j’eus du mal à déchiffrer les
lettres. Lorsque j’y parvins, je ressentis un soulagement merveilleux : il
était écrit que Jean était prisonnier dans un camp en Allemagne.
    Je dus m’asseoir, les jambes fauchées par l’émotion. Ma mère
arriva juste à ce moment et, apercevant la carte dans mes mains, s’affola :
    — Madeleine ! Qu’y a-t-il ?
    Sans répondre, je la lui tendis, et elle lut. Elle poussa un
immense soupir :
    — Enfin ! murmura-t-elle.
    Elle me regarda, et sur tout son visage il y avait un grand
bonheur.
    — Il y a l’adresse du stalag où il est prisonnier,
dit-elle. Il faut lui écrire.
    Charles, le soir, fut du même avis. Heureux comme des
enfants, nous avons passé un long moment à écrire une lettre, pleine d’amour et
de tendresse. Mais, au fond de moi, un doute persistait : allait-il
répondre, cette fois ?
    Je me remis à attendre, chaque matin, avec un nouvel espoir.
Plusieurs semaines passèrent, et j’essayai de ne pas me décourager. Puis, au
début du mois de décembre, je reçus une lettre.
    Fébrilement, j’ouvris l’enveloppe. J’en retirai une feuille
d’un format spécial et réglementaire. Avidement, je me mis à lire. Il n’y avait
que quelques lignes, dans lesquelles il disait que tout

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