La Poussière Des Corons
yeux une
nostalgie, une douceur, qui rendaient son regard plus profond, plus tendre.
— Maman, me dit-il, je voudrais aller attendre
papa à la fosse. Qu’en penses-tu ?
— C’est une très bonne idée.
Il vint derrière moi, qui étais penchée devant l’évier.
Il m’entoura de ses bras, posa sa joue contre la mienne :
— Tu sais, maman, là-haut dans ma chambre, j’ai
repensé à ce jour, où je suis parti d’ici… Je n’ai pas Oublié ce que je t’ai
dit, alors. Rien n’était vrai, sais-tu ? Pardonne-moi si je t’ai fait tant
de peine…
— Ce n’est rien, dis-je tout bas. Tu es là, maintenant,
rien d’autre ne compte.
Je ne voulais plus penser à ce jour où il m’avait quittée, plein
de haine et de rancune. Je ne voulais goûter que le moment présent, alors qu’il
était près de moi avec son amour redevenu intact.
Après m’avoir embrassée tendrement, il sortit, et je m’affairai
à la préparation du repas. Je mis ma jolie nappe, la vaisselle des grandes
occasions. Le retour de mon enfant était une fête.
Quand ils revinrent, tous les deux, je courus à la porte les
accueillir. Je les regardai, côte à côte, et je découvris qu’ils se
ressemblaient : ils avaient sur le visage le même bonheur, le même sourire
heureux, et dans leurs yeux posés sur moi, la même tendresse.
— Tu vois, dit Charles, il est revenu, notre Jean…
Tu es contente, Madeleine ?
Oui, j’étais contente. Par son intensité même, mon bonheur m’effrayait.
J’avais invité ma mère à venir manger avec nous. Le repas se déroula dans une
chaude ambiance familiale. La présence de Jean suffisait à tout rendre plus gai,
plus beau, plus chaleureux.
Charles parlait à Jean de la mine, des difficultés. Lorsqu’il
avait su que c’était Albert Darent qui avait insinué à Jean la vérité, il avait
été comme fou :
— Le salaud ! répétait-il, furieux. Le salaud !
Ça ne m’étonne pas de lui !
Je savais que je ne lui pardonnerais jamais ce qu’il avait
fait. Et je ne pouvais m’empêcher d’éprouver un grand soulagement à l’idée que,
dorénavant, il ne pourrait plus me nuire.
Lorsque, après le départ de ma mère que Jean reconduisit
jusque chez elle, nous nous sommes retrouvés tous les trois, comme avant, les
années de séparation, d’inquiétude, furent chassées définitivement par la
douceur que je ressentais. Cette nuit-là, dans le grand lit où je dormais avec
Charles, plus d’une fois je m’éveillai, savourant une joie, une certitude
profondes : dans la chambre voisine, qui était restée si longtemps
inoccupée, de nouveau mon enfant dormait.
Je me rendis compte que Jean avait changé. Il était plus mûr,
plus grave ; la guerre, la souffrance avaient fait de lui un homme.
Son besoin de réparer je mal qu’il m’avait fait était
touchant. Il faisait, à ma place, les gros travaux, portait sur le feu la
lessiveuse emplie d’eau pour faire bouillir le linge, préparait le chaudron pour
le bain de Charles. Il allait souvent voir ma mère, et avait fait la
connaissance de Paul, le fils de Georges et d’Anna. Il en devint littéralement
fou. Il le promenait sur ses épaules, jouait avec lui, le faisait rire aux
éclats. Il arriva plus d’une fois où je les vis, Jean à quatre pattes sur le
sol et Paul à califourchon sur son dos, criant : « Hue dada ! Hue
dada ! » Jean se prêtait à tous ses caprices, et Paul, ravi, le
menait par le bout du nez.
Marcelle venait souvent. Je remarquai qu’elle regardait Jean
avec une sorte d’adoration, mais je ne m’en étonnais pas. Il était si beau, mon
fils, si charmeur comme l’avait été Henri à son âge, qu’il me semblait qu’on ne
pouvait que l’aimer. En plus il était loyal, franc, sensible et bon. Je ne lui
trouvais que des qualités. Je ne pouvais, moi non plus, m’empêcher de le
regarder, de l’admirer. Il était grand, plus grand que moi, et je m’interrogeais
sur la vie, qui faisait qu’un petit être né de moi, fragile et tendre, pût
devenir cet homme auprès duquel c’était moi, maintenant, qui paraissait petite
et fragile.
A la fin du mois de juin, Anna mit au monde un autre fils, qu’elle
appela Bernard. Comme pour la naissance de Paul, j’allai l’aider pendant les
jours où elle dut garder le lit. Le bébé était blond, comme sa mère, avec de
grands yeux bleus. Paul, ravi d’avoir un petit frère, tournait autour du
berceau en demandant sans
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