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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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était si grand que je ne sentais plus tous ces gens qui me bousculaient.
    Dans la voiture, je m’assis près de lui ; durant tout
le trajet du retour, je le regardai, détaillant avidement chaque trait de son
visage. C’était vrai, il était devenu un homme, et sa tenue de prisonnier
accentuait cette impression. Et moi, je n’avais pas pu assister à cette
transformation, elle s’était faite sans moi. Ces années qui m’avaient été
volées, je savais ne jamais les retrouver. Je soupirai. Jean me prit la main, la
serra et me sourit.
    — Alors, raconte, disait Étienne. C’était dur, là-bas ?
    — Le travail n’était pas facile, avouait Jean, et
nous n’étions pas très bien nourris, sans compter les punaises et les blattes
dans les paillasses. Mais le plus dur, pour moi, ce fut d’être séparé de ma
famille. Surtout au moment des fêtes, particulièrement Noël. Mes seules joies
étaient les lettres, les colis. Ce qui rendait ma vie supportable, aussi, c’était
l’espoir, auquel je m’accrochais, que je reviendrais un jour.
     
    A la maison, il entra dans la cuisine, s’arrêta un instant. Il
regarda autour de lui et eut un long soupir heureux. D’une voix basse et rauque
il dit :
    — C’est toute mon enfance que je retrouve, toute
ma vie d’avant. Oh maman, si tu savais !…
    Les yeux pleins de tendresse, il continua :
    — Je m’en veux de n’avoir pas compris plus tôt, de
t’avoir fait souffrir. Pardonne-moi. J’avais dix-huit ans, je n’ai pas pu
admettre. C’est la façon surtout dont je l’ai appris, qui m’a bouleversé…
    Dans un souffle, je dis :
    — Mais, Jean, qui donc…?
    Et puis, alors même que je posais cette question, un éclair
se fit brusquement dans mon esprit, et je criai :
    — Albert Darent ! C’est lui, n’est-ce pas ?
    Je ne fus pas surprise de le voir acquiescer. Je crois qu’inconsciemment
je l’avais toujours su. Pourquoi, pensai-je, cet acharnement à vouloir me faire
du mal ?
    — Oui, disait Jean. Il m’a arrêté alors que je
revenais, un samedi. Il avait un regard plein d’une joie mauvaise, il ricanait,
un mégot au coin des lèvres. Il m’a dévoilé quelque chose que j’étais loin de
soupçonner. Mais il l’a présenté comme si toi, sciemment, tu avais trompé papa.
Tout ce qu’il me disait était sale, horrible. J’étais horrifié de dégoût. Mais,
malgré tout, j’espérais que c’était faux. Et puis, quand tu n’as pas démenti, en
moi tout a craqué.
    Je tendis une main vers lui :
    — Oh Jean, j’aurais voulu t’expliquer, te faire
comprendre.
    Il dit, avec tristesse, avec regret :
    — Je sais bien, mais la révélation avait été trop
brutale. La moindre allusion à ton endroit me brûlait comme un fer rouge, je ne
voulais plus entendre parler de toi.
    Il eut pour moi un regard empli d’une supplication infinie :
    — J’ai été dur, intransigeant, je le sais. Je
suis parti à la guerre comme on fuit, et peut-être même y ai-je vu un moyen de
mourir, de me débarrasser d’une vie qui m’était devenue insupportable : Et
pourtant, c’est la guerre qui m’a mûri, qui m’a changé, peu à peu. Je me suis
rendu compte que je t’aimais encore, malgré tout, que j’étais incapable de ne
pas t’aimer.
    Il s’arrêta un instant, et son regard sembla rechercher, au
fond de lui, un souvenir à la fois plein de douceur et de souffrance. Plus bas,
il reprit :
    — C’est Henri, mon père, qui m’a fait comprendre,
finalement. Sais-tu comment il est mort, le sais-tu ?
    Je secouai la tête, comprenant qu’il y avait eu, avant le
retour de mon enfant vers moi, quelque chose de grand, de beau, de douloureux.
    — C’était dans un petit village, près de
Dunkerque, en mai 40, juste avant que nous soyons capturés et emmenés comme
prisonniers. Nous avions ordre de retarder l’avance ennemie. Le village avait été
abandonné par ses habitants. Notre régiment s’y est installé, attendant les
Allemands. Tout arriva d’un seul coup. Les avions, et les chars blindés. Ils
attaquèrent le village, des bombes enflammèrent les maisons. Celle où nous
étions, Henri et moi, fut transformée en brasier. Nous sommes sortis en courant.
Dehors, les mitrailleuses crépitaient. « Attention ! » a hurlé
Henri. En une fraction de seconde, j’ai vu la gueule noire de la mitrailleuse
qui, en crachant la mort, se dirigeait vers moi. Je me suis senti repoussé, projeté
contre un mur. Je

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