La Poussière Des Corons
et une mèche de ses
cheveux de bébé.
— J’étais vraiment leur petit-fils, dit-il. Ils n’ont
jamais su ?
— Non, ils n’ont jamais su. Et c’était mieux
ainsi, pour eux.
— Oui, approuva-t-il avec gravité. Moi aussi j’aurais
préféré ne jamais savoir.
Ma mère, debout sur le seuil de sa maison, nous attendait. Elle
avait été prévenue de notre arrivée, les nouvelles allaient vite dans le coron !
Elle nous fit entrer, sans un mot. Je voyais sur son visage tendu l’émotion, tandis
qu’elle regardait Jean, d’un regard pareil au mien, plein d’avidité, d’amour et
de larmes. Il la prit dans ses bras, et ils restèrent un long moment
étroitement embrassés.
— Enfin, dit-elle d’une voix tremblante, tu es
revenu. J’avais si peur de mourir avant de te revoir.
— Ne dis pas ça, protesta Jean. De mes
grands-parents, je n’ai plus que toi, et j’entends bien te garder longtemps !
Ils se sourirent. Et moi, près d’eux, j’étais heureuse comme
je ne l’avais pas été depuis longtemps.
A elle aussi, Jean raconta la mort d’Henri. Nous lui avons
dit notre vie sans lui, la mort de Jeanne, celle de Pierre. Il ne se lassait
pas de demander des détails, sur eux, sur nous, sur tout. À son tour, il nous
parlait de sa vie de prisonnier, et nous l’interrogions, et nous l’écoutions
avec émotion.
Ensuite, nous sommes revenus chez nous. Jean a voulu faire
un détour par la fosse. Devant la grille, il s’arrêta, regarda la cour, la
salle de triage, les immenses roues du chevalement.
— Je me rappelle, dit-il d’une voix sourde, mes
jours de travail, là, au fond, et surtout, le cauchemar de l’éboulement, alors
que nous étions enfouis vivants. Sais-tu que j’en rêve encore, parfois ? Même
la guerre et ses horreurs n’ont pas effacé ce souvenir de mon esprit.
Il se tut un instant, se tourna vers moi :
— Il faut que je te dise, Henri n’a pas d’enfant.
Tout ce qu’il possédait, il me l’a légué. Je l’ai accepté, pas pour moi, mais
pour eux.
Du menton, il me désigna la fosse, et, avec elle, tous ceux
qui, dans ses entrailles, donnaient leur force, leur sueur, et parfois leur
sang.
— Je veux améliorer leur sort, reprit-il, améliorer
leurs conditions de travail. Je veux qu’ils puissent descendre au fond sans la
crainte de ne pas remonter.
Je lus dans ses yeux une détermination, qui était en même
temps une promesse pour l’avenir.
— Je vais reprendre mes études d’ingénieur, et je
travaillerai avec eux.
Il me prit le bras, m’entraîna. Moi, je n’avais rien dit. Que
pouvais-je dire, d’ailleurs ? Silencieusement, j’approuvais. Mon enfant
était devenu un homme, il avait choisi son destin. Il n’aurait plus qu’à le
suivre, ensuite, comme chacun d’entre nous.
Devant la porte, quelqu’un nous attendait. En approchant, je
reconnus Marcelle. Elle s’avança vers nous :
— Bonjour, Jean, dit-elle timidement. Tu ne me
reconnais pas ?
Jean regardait, étonné, cette grande fille qui lui souriait,
d’un sourire tremblant. Il fronçait les sourcils, perplexe, puis son visage s’éclaira :
— Marcelle ! Tu es Marcelle !
Il la prit aux épaules et l’embrassa chaleureusement, sur
les deux joues, comme un frère :
— Ma petite amie Marcelle ! Comme tu as
changé ! Je ne t’aurais pas reconnue !
— J’avais huit ans quand tu es parti, dit
Marcelle. J’en ai quatorze, maintenant.
— Tu es presque une jeune fille, et il me semble
que tu deviens bien jolie !
C’était une constatation, faite sur un ton d’amitié toute
fraternelle. Mais Marcelle rougit et baissa les yeux. Cela aurait dû me faire
comprendre, déjà ce jour-là. Mais je n’ai rien vu, qu’une timidité de jeune
fille.
— À bientôt, dit Jean. On se reverra ?
Elle acquiesça, encore rougissante. Elle s’enfuit jusque
chez elle, vive, légère, et il y avait dans son allure quelque chose de nouveau,
d’enthousiaste, qui lui donnait une démarche dansante d’elfe.
Jean, avec émotion, a retrouvé sa chambre. Je l’ai laissé
refaire connaissance avec ses souvenirs. Je suis allée, dans la cuisine, préparer
le repas. J’éprouvais une impatience joyeuse en attendant le retour de Charles,
qui était au fond de la mine et ne savait pas encore l’heureuse surprise qui l’attendait
chez lui.
Jean descendit de sa chambre avec un air rêveur. La
rencontre avec ses souvenirs, avec son enfance, avait laissé dans ses
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