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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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les moindres réflexions entendues sur le lieu de
travail, dans les cabarets. C’est pourquoi, s’il était mécontent, un mineur n’osait
pas se plaindre ouvertement, car les renvois étaient arbitraires. La compagnie
était toute-puissante. La hantise de chacun d’eux, c’était qu’on lui rende son
livret, en lui disant :
    — Si tu n’es pas content ici, va ailleurs !
    Car ne plus avoir de travail, c’était être à la rue, puisqu’il
fallait rendre le logement ; c’était, à plus ou moins brève échéance, la
famine, la misère et la mort.
    Aussi, ce ne fut qu’après avoir promis à mon père que je ne
dirais pas un mot sur le sujet de la mine et des mineurs que je partis, le
jeudi suivant, vers la maison de Juliette.
    L’après-midi était ensoleillé. Je traversai le coron parmi
les rires et les cris des enfants qui se poursuivaient. J’aurais aimé jouer
avec eux comme je le faisais habituellement, mais je ne m’arrêtai pas. J’étais
crispée, mal à l’aise dans ma robe et mes chaussures du dimanche que ma mère m’avait
fait mettre. Je sortis du coron, pris le chemin qui conduisait chez Juliette. Là,
c’était la campagne. Les oiseaux chantaient, l’air était doux, et, dans le
soleil, la grande maison me parut moins imposante, plus agréable, plus
engageante.
    Juliette m’attendait à la grille. Elle m’accueillit avec
exubérance, me prit la main, m’entraîna, heureuse, impatiente :
    — Viens ! Viens vite !
    Je la suivis dans le grand parc. Juliette courait, alors que
je marchais avec respect, presque avec crainte, dans les allées soigneusement
ratissées. Elle s’impatientait, se retournait :
    — Alors, dépêche-toi ! Que fais-tu donc ?
    Et je pris conscience, pour la première fois, du fait que
nous étions différentes. Je n’aurais pas su l’expliquer clairement, mais je
savais que rien ne serait plus pareil. Je venais de découvrir que Juliette
était riche, alors que j’étais pauvre. Je compris que, si je me sentais mal à l’aise
dans ce parc où elle évoluait avec tant d’aisance, c’est qu’elle y était dans
son milieu, et que ce milieu n’était pas le mien.
    Ce fut bien pis encore à l’intérieur. Le hall immense m’impressionna.
Il était, à lui seul, presque aussi grand que toute notre maison. Il me glaça. Trop
vaste, trop luxueux, il accentua davantage encore ma petitesse, mon
insignifiance, mon humilité.
    La mère de Juliette apparut. Elle semblait douce, gentille. Sous
son regard souriant, l’étau qui m’emprisonnait la poitrine se desserra un peu.
    — Ainsi, voilà Madeleine ! Bienvenue chez
nous, mon enfant. Nous te remercions d’avoir aidé Juliette pendant sa maladie. Il
paraît que tu es une très bonne élève ?
    Je ne pus répondre que par un hochement de tête et un
sourire. Ma gorge était tellement serrée qu’elle semblait ne pouvoir laisser
passer aucune parole.
    Voyant que j’étais intimidée, la mère de Juliette n’insista
pas.
    — Bien, allez jouer ! Tout à l’heure je vous
appellerai pour goûter.
    Juliette me prit la main, m’entraîna :
    — Viens, allons dans ma chambre.
    Nous avons grimpé l’imposant escalier, et Juliette m’ouvrit
la porte de sa chambre. Ce me fut un émerveillement. Je n’imaginais pas
autrement la chambre d’une princesse, d’une fée. Pas de parquet nu, comme chez
nous, mais des tapis épais et moelleux. Des rideaux roses, ravissants, un lit
recouvert d’un couvre-lit rose assorti, brodé de petites fleurs. Des meubles
charmants, coquets, une armoire, un petit bureau, rien de comparable à l’ameublement
lourd et sommaire de ma propre chambre. Des murs tapissés d’un joli papier à
fleurs, et non peints à la chaux, comme chez nous. Et les jouets ! Juliette
en avait tout un coffre. Elle l’ouvrit, m’invita à approcher :
    — Viens, jouons !
    Elle les sortit, un à un. Il y en avait quelques-uns que je
possédais aussi, comme une balle, une corde à sauter. Mais d’autres me
laissèrent muette de respect, notamment un service à café miniature, avec des
tasses, des soucoupes, une cafetière, un sucrier, un pot à lait, le tout en
vraie porcelaine, décorée et magnifique. Il y avait des livres à colorier et
une splendide boîte de couleurs. Et surtout une superbe poupée, avec une
véritable tête de porcelaine, des yeux bleus, devant laquelle je restai sans
voix, éperdue d’admiration. Comme ma poupée de chiffons semblait misérable,

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