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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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ouvrière ne versait
dans ce cas que la moitié du salaire, et ma mère dut coudre davantage pour
gagner l’argent qui manquait. Entre les soins à donner à mon père, ses travaux
de couture, le ménage, les courses, les repas, la vaisselle, elle ne s’en
sortait plus. Je dus manquer l’école pendant plusieurs jours pour pouvoir l’aider.
Je faisais les courses, j’allais chercher l’eau à la pompe, j’allais remplir le
seau de charbon pour le feu, j’épluchais les légumes, je faisais le café, la
vaisselle, je n’arrêtais pas. Mais c’était, pour ma mère, du temps gagné, pendant
lequel elle s’installait à sa machine et cousait les vêtements qu’ensuite j’allais
livrer.
    J’étais fière de me rendre utile mais triste de manquer l’école.
Mon père, peu habitué à ne rien faire, tournait en rond et s’impatientait. À la
fin de la seconde semaine, bien qu’incomplètement guéri, il n’y tint plus et
reprit le chemin de la mine, malgré les recommandations de prudence de ma mère.
Mais il ne pouvait plus rester là, assis, à la regarder travailler comme une
bête de somme. C’était son rôle, à lui, de gagner l’argent de la famille. Rien
n’aurait pu l’empêcher de reprendre le travail dès qu’il s’en sentit capable.
    De mon côté, je retournai à l’école. Je rattrapai rapidement
le retard accumulé pendant mes jours d’absence. Je retrouvai avec plaisir mon
goût pour l’étude, mes jeux avec Juliette et Marie aux récréations. Ma vie
reprenait son cours normal.

4
    AU mois de février, cette année-là, Juliette fut malade. Elle
était très enrhumée depuis plusieurs jours. Un matin, elle ne vint pas à l’école.
La maîtresse, qui avait reçu une lettre d’excuses, nous apprit qu’elle avait
une bronchite :
    — Elle manquera sans doute longtemps. Ses parents
demandant que les devoirs et les leçons lui soient portés régulièrement. Madeleine,
tu t’en chargeras.
    Je copiais donc tous les soirs les leçons à apprendre et les
devoirs à faire. À la grille de l’école, Henri, son frère, m’attendait, et je
lui remettais fidèlement la feuille pour Juliette. J’en profitais pour demander
comment elle allait. Lorsqu’il me disait : « Elle ne va pas encore
très bien, elle tousse encore beaucoup », j’étais triste, et quand vint le
jour où il m’annonça : « Elle va beaucoup mieux, elle s’est levée
hier », je fus heureuse. Elle m’était devenue chère, Juliette, elle était,
avec Marie, ma meilleure amie.
    Lorsqu’elle revint en classe, je la trouvai pâle et amaigrie.
Elle avait perdu sa vivacité, elle restait la plupart du temps sans bouger, amorphe,
toujours fatiguée. Je m’ingéniais à la distraire. Je voulais voir revenir sa
joie de vivre, par tous les moyens je cherchais à ramener le sourire sur son
visage.
    Et puis, un matin :
    — Tu sais, Madeleine, mes parents m’ont permis de
t’inviter à la maison. Je leur parle tellement de toi ! Et, toute seule, je
m’ennuie, rien ne m’intéresse. Alors je voudrais que tu viennes jouer avec moi,
le jeudi. Mes parents sont d’accord. Tu veux bien, dis ?
    Je fus surprise, sur le moment. Juliette habitait une belle
et grande maison, située à l’écart du coron, et ses parents ne la laissaient
jamais jouer avec nous. Ils devaient juger que nous n’étions pas, nous les
enfants des mineurs, des compagnons de jeux rêvés pour leur fille. Il avait
fallu que la santé de Juliette leur donnât bien du souci pour qu’ils
acceptassent de faire une exception en ma faveur.
    Comme je ne répondais pas, Juliette insistait :
    — Tu veux ? Tu veux bien venir chez moi ?
Dis oui !
    J’acceptai, pour lui faire plaisir. Mais j’étais mal à l’aise.
Ma timidité naturelle reprenait le dessus, et la seule idée d’aller dans cette
grande maison que je n’avais vue que de loin me paralysait.
    Lorsque j’en parlai à ma mère, elle ne refusa pas. Mon père
fut plus réticent :
    — Qu’est-ce que cela signifie ? grogna-t-il.
J’espère que ce n’est pas un moyen trouvé par le directeur pour avoir des
renseignements sur nos faits et gestes. Si on t’interroge, ne dis rien, Madeleine,
tu entends ? Dis que tu ne sais rien.
    Il était, comme tous les mineurs, extrêmement méfiant en ce
qui concernait la direction de la mine. Il n’avait pas tout à fait tort. La
compagnie avait à sa solde des rapporteurs, des « espions » qui
venaient lui répéter fidèlement

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