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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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Sainte-Barbe, patronne
des mineurs, unanimement fêtée le 4 décembre. Mon père, comme beaucoup de
mineurs, travaillait plus longtemps pendant la quinzaine précédente. C’était la
période des « longues coupes », des heures supplémentaires que tous
faisaient pour augmenter leur salaire, afin de pouvoir améliorer l’ordinaire et
fêter Sainte-Barbe sans restriction. Nous, les enfants, nous adorions cette
fête ; outre les pâtisseries et les bonbons que nous pouvions manger
exceptionnellement, il y avait des courses à sac, des mâts de cocagne, et
surtout des manèges et des balançoires.
    Ce soir-là, en revenant de l’école, je vis le cabriolet du
docteur arrêté devant notre porte. Tout de suite, j’eus peur. Je quittai
brusquement Marie et Charles et me précipitai dans la maison. Le docteur était
penché sur mon père, assis sur une chaise. Ma mère se tenait près de lui, une
cuvette et un linge dans les mains.
    Je m’approchai. J’eus l’impression de recevoir un coup dans
la poitrine. Tout le haut du bras et l’épaule de mon père n’étaient qu’une
masse sanglante. La peau était déchirée, le sang coulait. L’horreur me fit
pousser un cri :
    — Papa ! Oh, papa !
    Mon père releva la tête, me vit. Dans son visage encore noir
de charbon, la sueur avait creusé des rigoles plus claires. La souffrance que
je lus dans ses yeux me fit mal. Ma mère posa la cuvette, vint vers moi, me
poussa doucement dehors :
    — Va chez Jeanne, va jouer avec Marie. Je
viendrai te chercher tout à l’heure.
    Jeanne, la mère de Charles, m’accueillit gentiment, essaya
de me rassurer. Voir mon père dans cet état m’avait tellement impressionnée que
je tremblais.
    — Allons, dit Jeanne, ne t’inquiète pas, ce ne
sera pas grave.
    Pierre, son mari, assis près du feu, m’observait en silence,
avec une compréhension mêlée de pitié. Ce fut à lui que je demandai, d’une voix
mal assurée :
    — Pierre ! Que s’est-il passé ? Qu’a
donc fait papa ?
    Il secoua la tête, en un geste d’impuissance et d’accablement :
    — C’est un accident. Lucas, le nouveau galibot
chargé de pousser les wagons, n’est pas encore bien adroit. Il en a fait
dérailler un. Il n’a pas su le retenir, et ton père n’a eu que le temps de se
jeter sur le côté. Le wagon l’a quand même attrapé à l’épaule et au bras…
    — Oh, Pierre ! Toute sa peau est déchirée, et
ça saigne !…
    — Dame ! Un wagon chargé comme celui-là, ça
va chercher dans les cinq cents kilos !
    — Tu étais là, Pierre ? Tu l’as vu ?
    — Hé oui, on n’a rien pu faire, ça s’est passé si
vite ! Mais ne t’en fais pas, petite, ajouta-t-il avec bonté, en voyant
mon inquiétude. Dans quelques jours il n’y paraîtra plus. Ce n’est pas si grave,
après tout. Quand on pense qu’il aurait pu être écrasé…
    C’était la philosophie propre aux mineurs. Ils réagissaient
devant les accidents avec une résignation, un fatalisme que je n’ai jamais pu
comprendre. Peut-être était-ce la seule réaction possible pour pouvoir
continuer à faire ce métier où le danger était présent à chaque instant. Ils le
côtoyaient, ils avaient appris à vivre avec lui. Et lorsqu’un accident arrivait,
tout en le déplorant, ils n’en étaient pas surpris. C’était tellement dans l’ordre
des choses, le contraire eût été surprenant…
    A l’époque, je n’étais qu’une enfant, et tout ce que je
compris ce jour-là, ce fut que mon père était blessé, qu’il avait mal. Lorsque
ma mère vint me reprendre et que je vis, à la maison, mon père couché, les yeux
fermés, le bras et l’épaule entourés d’un énorme pansement, je me sentis
désorientée. J’allai vers lui. J’aurais voulu le consoler, j’aurais voulu être
là, à sa place. Il me semblait anormal que lui fût au lit et blessé alors que
moi je n’avais rien. La tristesse et l’incompréhension m’arrachaient des larmes
amères.
    — Viens, me dit ma mère, laissons-le reposer.
    Toute la soirée, dans la cuisine, nous avons parlé à voix
basse, et cela accentuait l’irréalité de la situation. Cette nuit-là, je dormis
très peu. Je me réveillai souvent, inquiète. Je me rendais compte que je ne
pouvais rien faire, et le sentiment de mon impuissance m’était une véritable
souffrance.
    Le docteur revint chaque jour faire le pansement. Mon père
dut arrêter le travail pendant deux semaines. L’assurance

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