La Poussière Des Corons
poussent dans l’escalier. Et
elles lui cachent ses affaires, pour qu’elle soit punie.
— Madeleine, dit la maîtresse sérieusement, j’exige
qu’à l’avenir, si elles t’ennuient encore, tu viennes me le dire. Tu as bien
compris ?
Je dis oui, sachant pertinemment que je n’en ferais rien.
La maîtresse se tourna alors vers les deux coupables et les
sermonna vertement, essayant de leur faire honte, exigeant leur promesse de ne
plus recommencer. Elles furent mises au piquet, avec le bonnet de mauvaise
conduite. Il était, avec le bonnet d’âne, la pire des punitions. Elles furent
très humiliées, mais, au lieu d’admettre qu’elles étaient punies par leur
propre faute, ce fut moi qu’elles rendirent responsable de leur disgrâce.
Le soir même, elles se dissimulèrent à la sortie du village,
et me guettèrent sur le chemin du retour. Elles se précipitèrent sur moi comme
deux furies, m’arrachèrent mon cartable, le vidèrent dans la boue et
piétinèrent tout, livres, cahiers, crayons. Elles me poussèrent et me firent
tomber.
Incapable de me défendre, je pleurai, horrifiée par tant d’injustice
et de méchanceté. Charles et Marie, qui m’accompagnaient, réagirent avec
indignation. Je n’avais jamais vu Charles aussi furieux. Il se jeta sur elles, leur
lança des violents coups de pied avec ses gros souliers ferrés, qui leur
arrachèrent des hurlements, pendant que Marie leur tirait les cheveux sans
douceur. Ensuite ils prirent leurs cartables, et en vidèrent le contenu dans le
fossé rempli d’eau.
— Oh ! Je le dirai ! Je le dirai !
hurlait Clotilde, tandis que Lucienne pleurait en frottant ses tibias
douloureux.
— Tu peux le dire, répliqua Charles sèchement, nous
dirons que c’est toi qui as commencé. Et nous t’avons fait ce que tu as fait à
Madeleine. Et si tu recommences, nous recommencerons aussi !
Matées, elles jetèrent à Charles un regard empli de crainte
et de haine, et s’enfuirent vers le village. Charles et Marie m’aidèrent à
ramasser mes affaires dans la boue. Pleurant toujours, je rentrai chez moi. Mes
parents passèrent la soirée à nettoyer du mieux qu’ils purent mes livres et mes
cahiers, et ma mère dut laver tous mes vêtements. Mon père se mit en colère :
— Demain, j’irai voir ta maîtresse !
Il tint parole. Le lendemain, à la sortie de l’école, il
était là. Il expliqua à l’institutrice ce qui s’était passé. Celle-ci, outrée d’apprendre
ce que Clotilde et Lucienne avaient encore fait malgré sa défense, promit de s’en
occuper personnellement.
Le lendemain matin, en classe, elle les appela :
— Clotilde ! Lucienne ! Venez ici !
Inquiètes, elles obéirent.
— Savez-vous pourquoi je vous appelle ?
Elles se regardèrent sans répondre.
— Eh bien ! Répondez !
Elles baissèrent la tête et restèrent muettes.
— Je vois que vous n’êtes pas fières de vous !
Je vais donc parler pour vous, et expliquer à vos compagnes ce que vous avez
fait.
Elle raconta à toute la classe la scène de l’avant-veille. Ce
fut, dans la salle, un murmure horrifié. Tout le monde me regarda avec pitié et
sympathie.
— Et maintenant, dit la maîtresse, allez au
bureau de la directrice, elle vous attend.
Clotilde et Lucienne devinrent très pâles, et je vis
clairement leur peur. Je ne pus m’empêcher d’avoir pitié d’elles. Aller au
bureau de la directrice était ce qui pouvait arriver de pire. On n’y allait que
si on avait fait quelque chose de grave, et rien que d’y penser suffisait à
nous terroriser. Elles sortirent la tête basse, et furent absentes un bon
moment. Lorsqu’elles revinrent, nous vîmes toutes qu’elles avaient pleuré. Elles
restèrent étonnamment silencieuses tout le reste du jour. À partir de ce
moment-là, elles m’ignorèrent complètement. Je fus débarrassée de leur
persécution. Je pus vivre sans la crainte perpétuelle de leurs mauvais coups, et
le soulagement que j’en ressenti suffit à lui seul à me rendre la vie bien plus
agréable. Je partageai de nouveau mes jours entre l’école, la maison, les jeux,
l’amitié de Charles et de Marie, la tendresse de mes parents, tout ce qui
faisait ma vie.
*
La mine ne se laissait pas oublier. Elle faisait partie de
mon existence, y était étroitement mêlée. J’avais huit ans lorsque je découvris
qu’elle pouvait être cruelle et impitoyable.
C’était pendant la semaine qui précédait la
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