La Poussière Des Corons
voulus caresser sa chevelure, mais ma main était encore
trop faible.
— Maman, maman, cria Jean, tu restes avec nous, maintenant,
dis ? Tu ne partiras plus ? Dis, tu vas rester ?
Je les regardai, tous les deux, mes deux amours. Oui, mon
père avait raison, ils avaient besoin de moi. Pour eux, je devais vivre. Je me
sentis soudain sereine, apaisée, heureuse. Je souris à mon enfant, et
tendrement je dis :
— Oui, je vais rester, c’est promis.
TROISIÈME PARTIE
(1926-1945)
LE CŒUR DÉCHIRÉ
1
LES années qui suivirent furent parmi les plus heureuses,
les plus paisibles de ma vie. J’avais eu une congestion pulmonaire et avais
failli mourir. J’aurais pu perdre Jean, aussi, si sa chute avait causé une
blessure plus grave qu’une simple bosse. Et j’aurais pu perdre Charles dans l’éboulement
qui s’était produit à la mine auparavant. Alors, le simple fait que nous soyons
tous là, vivants, en bonne santé, et réunis, me paraissait miraculeux.
Nous formions une famille très unie, tous les trois. Jean
restait notre seul enfant. J’aurais bien voulu donner à Charles un enfant qui
fût de lui, je rêvais parfois d’une petite fille aux boucles blondes… Mais la
Nature ne l’a pas voulu, et je me suis assez facilement résignée. Jean me
comblait. De son côté, Charles ne m’en parla jamais. J’en conclus qu’il était
heureux ainsi. Et, égoïstement, je me disais parfois que ce n’était pas plus
mal, car je craignais que, si nous avions un autre enfant, il ne le préférât à
Jean.
Nous étions arrivés à oublier totalement qu’il n’était pas
son fils, le petit croyait que Charles était son vrai père, et moi je ne
pensais plus que bien rarement à Henri. Juliette, qui continuait de nous rendre
visite, venait de se marier avec un jeune ingénieur. Elle était folle de son
mari, rayonnait de bonheur, et j’étais heureuse pour elle. Sans que je le lui
demande, elle me donnait des nouvelles d’Henri. Gerda, sa femme, depuis qu’ils
étaient mariés, faisait fausse couche sur fausse couche sans parvenir à mettre
au monde un enfant. Je ne prêtais aux récits de Juliette qu’une attention
distraite. Ce qui pouvait arriver à Henri ne me concernait plus.
Autour de nous, la vie continuait, plus agréable à mesure
que les années passaient. Les prix, qui jusque-là n’avaient fait qu’augmenter, se
stabilisaient alors que dans l’ensemble les salaires continuaient de progresser.
Nous vivions mieux. Le charbon se vendait bien, il fallait produire beaucoup, les
mineurs ne manquaient pas de travail.
Jean grandissait, adorable et charmant. Il ressemblait à mon
père, il avait ses yeux, son air doux et calme. Il avait la même façon que lui
de baisser la tête. Il ne me rappelait Henri que lorsqu’il souriait, d’une
certaine façon, pour obtenir quelque chose qu’on lui refusait. Juliette l’avait
remarqué aussi, et un jour, ne put s’empêcher de me le dire :
— Mon Dieu, Madeleine, il a le sourire de mon
frère !
C’était, Dieu merci, sa seule ressemblance avec Henri. Il
travaillait toujours très bien à l’école, et semblait passionné d’apprendre. Il
était très intelligent, et je me désolais parfois en pensant qu’il devrait, après
le certificat d’études, prendre le chemin de la mine. Il était si fin, si
délicat que le métier de mineur ne me semblait pas pour lui. Pourtant, c’était
ainsi. En ce temps-là, on était encore mineur de père en fils, et au lendemain
du certificat d’études, le garde des mines allait chercher les garçons en âge
de travailler et les recrutait d’office. J’appréhendais le moment où cela
arriverait.
Ce fut l’année 1930 qui marqua la fin de cette période
paisible et douce, et nous apporta le début des difficultés. Ce ne fut pas très
net au début, et nous ne nous en sommes pas rendu compte tout de suite. Le
charbon, peu à peu, se vendait moins bien ; des mineurs furent mis au
chômage partiel, une journée toutes les deux semaines. Les primes de rendement
baissèrent progressivement, ce qui faisait que, tout en effectuant le même
travail, les ouvriers du fond gagnaient moins. Le mécontentement devint général,
et ce fut le début de nombreuses grèves.
Ma tranquillité d’esprit disparut. Je n’aimais pas entendre
parler de grève, je gardais toujours la peur de voir dégénérer les
manifestations en bagarres.
Quelques années s’écoulèrent encore. Jean eut douze ans et
fit sa
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