La Poussière Des Corons
je dois rejoindre les
autres. Nous allons à la gare pour reprendre le train.
— J’irai te voir un de ces jours, me promit-elle.
J’entraînai Jean, en marchant rapidement pour rejoindre les
autres qui, dans la foule, n’avaient pas vu Juliette et avaient continué à
avancer. Jean n’avait pas remarqué Henri, et je m’en félicitai. Je n’avais pas
aimé la façon dont ce dernier avait dévisagé mon fils.
Le lendemain, Juliette vint me rendre visite. J’étais seule
lorsqu’elle arriva. Sans préambule, elle me dit :
— Henri a vu Jean, hier.
Une appréhension me noua l’estomac. Je répondis néanmoins
calmement :
— Oui, je l’ai remarqué.
— Tu sais, continua Juliette, soudain volubile, il
ne l’avait jamais vu. Il a trouvé que c’était un bel enfant. Il m’a posé des
tas de questions à son sujet.
— Quelles questions ? dis-je, sur la
défensive.
— S’il travaillait bien à l’école, quel métier il
exercerait plus tard, s’il était intelligent, et ainsi de suite. Et sais-tu ce
qu’il a dit ? Il a soupiré, et il a murmuré : « Dire que je n’ai
pas d’enfant, que je n’en aurai jamais maintenant, et que lui, mon propre fils,
m’est inaccessible ! »
Je me cabrai :
— C’est sa propre faute ! Tu le sais comme
moi, Juliette. Il m’a repoussée, il n’a pas voulu de cet enfant que j’attendais.
Il est trop tard, maintenant.
— Oui, je sais bien, soupira Juliette. Il est
trop tard, tu as raison.
Après son départ, le malaise que j’éprouvais depuis la
veille augmenta. Je n’en parlai pas à Charles, car je n’aurais pas su exprimer
clairement ce que je ressentais. J’essayai de me rassurer en me disant que Jean
était mon fils et celui de Charles, et qu’Henri n’y pourrait rien changer. Mais
je sentais que ça ne s’arrêterait pas là.
J’avais raison. Quelques jours passèrent, et puis Juliette
revint me voir, à un moment où, encore une fois, j’étais seule. Elle était avec
son fils, qui commençait à marcher et trottinait partout. Elle parla de choses
et d’autres, et soudain se décida.
— Madeleine, me dit-elle, j’ai quelque chose à te
demander de la part d’Henri.
Tout de suite, je m’inquiétai :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Eh bien, voilà… Il voudrait te parler… C’est au
sujet de Jean.
— Je m’en doutais… Je le savais… Que veut-il ?
Le sais-tu, Juliette ?
— Non, je ne sais rien. Il ne m’a rien dit. Il m’a
simplement dit qu’il voulait te voir ; il a une demande à te faire.
Troublée, je murmurai :
— Qu’est-ce que ça peut bien être ? Oh, Juliette,
ne peut-il me laisser tranquille ?
Elle haussa les épaulés, impuissante :
— Je t’aime bien, Madeleine, mais j’aime bien mon
frère aussi. Tu sais que ma belle-sœur ne peut plus avoir d’enfant. Henri ne s’en
console pas. Depuis qu’il a vu Jean, il ne pense plus qu’à lui.
— Il n’est plus son fils ! Il n’a pas voulu
de lui. Il est trop tard, tu peux le lui dire, Juliette.
Sans le vouloir, je m’énervais. Elle fit un geste d’apaisement :
— Attends de savoir ce qu’il te demande… Il t’attendra
demain, devant le portail. Il préfère ne pas venir ici, pour ne pas faire jaser.
— Demain ? Quand ?
— En début d’après-midi. C’est ce qu’il m’a
chargée de te transmettre. Il espère que tu viendras. Il a insisté pour que je
te dise qu’il ne voyait que l’intérêt de Jean.
En moi, plusieurs sentiments se mêlaient. Révolte, inquiétude,
agacement. Jean était mon fils et celui de Charles. Pendant treize ans, Henri s’en
était désintéressé, et puis, subitement, il intervenait de nouveau. Pourquoi ?
Il m’avait fait suffisamment de mal, j’avais réussi à le rayer de ma vie, et je
refusais qu’il vînt, de nouveau, perturber mon existence.
— Que décides-tu, Madeleine ? Tu iras ?
Je secouai la tête :
— Je ne sais pas. Je ne crois pas. Dis-lui de me
laisser tranquille. Pour lui, il est trop tard.
— Vas-y, au moins, que tu saches ce qu’il te veut…
— Je ne sais pas, Juliette, je vais réfléchir.
Juliette se leva, prit son fils dans ses bras :
— J’ai rempli mon rôle de messagère. Maintenant, tu
feras ce que tu voudras. En tout cas, demain, vers deux heures, il t’attendra.
Sur ces mots, elle m’embrassa et partit. Je restai troublée,
torturée par l’indécision. Irais-je, n’irais-je pas ? Je décidai que je
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