La Prison d'Édimbourg
courage, car nous sommes entre les mains de celui qui sait mieux ce qui nous convient que nous ne le savons nous-mêmes. Je n’ai aucun doute de réussir dans le projet qui m’a fait partir. Je n’en doute pas et n’en veux pas douter, parce que j’ai besoin de toute mon assurance pour me conduire en présence des grands de ce monde. Mais penser que nos intentions sont bonnes et avoir le cœur fort, voilà de quoi se tirer de la tâche des plus mauvais jours. La ballade des Enfans {88} dit que le vent le plus violent de l’orage ne put faire mourir les trois pauvres petits ; et si c’est le bon plaisir de Dieu, après nous être séparés dans les larmes, nous pourrons nous revoir dans la joie, même sur cette rive du Jourdain. Je ne vous prie pas de vous rappeler ce que je vous ai dit en vous quittant à l’égard de mon père et de ma pauvre sœur ; je sais que vous le ferez par charité chrétienne encore plus que par complaisance pour les prières de votre obéissante servante,
» JEANIE DEANS. »
Cette lettre avait aussi un post-scriptum.
« Si vous croyez, mon cher Reuben, que j’aurais dû vous écrire plus au long, vous dire des choses plus amicales, supposez que je l’ai fait, car je désire que vous ne puissiez douter de mes sentimens pour vous. Vous penserez que je suis devenue prodigue, car je porte des bas et des souliers en Angleterre ; mais il n’y a que les pauvres gens qui s’en passent ici ; chaque pays a ses usages. Si le moment de rire revient jamais pour nous, vous rirez bien de voir ma figure enterrée sous une énorme bonne-grâce qui est aussi large que la plus grosse cloche de l’église de Libberton. Je vous écrirai ce que m’aura dit le duc d’Argyle dès que je serai arrivée à Londres. Écrivez-moi, pour me donner des nouvelles de votre santé, à l’adresse de mistress Glass, marchande de tabac, à l’enseigne du Chardon, à Londres. Si j’apprends que vous vous portez bien, j’en aurai l’esprit plus libre. Excusez mon orthographe et mon écriture, car j’ai une bien mauvaise plume. »
Il est bien vrai que l’orthographe de cette lettre et de la précédente n’était point parfaitement correcte, et cependant nous pouvons assurer nos lecteurs que, grâce aux leçons de Butler, elle était de beaucoup préférable à celle de la moitié des femmes bien nées d’Écosse, dont la mauvaise orthographe et le style étrange forment un singulier contraste avec le bon sens qu’on trouve ordinairement dans leurs lettres.
Au surplus Jeanie, dans ses deux épîtres, montrait peut-être plus de courage, de résolution et d’espérance qu’elle n’en avait réellement, mais c’était dans le désir de dissiper l’inquiétude que son père et son amant pouvaient concevoir pour elle, n’ignorant pas que leurs craintes à cet égard ne pouvaient qu’ajouter considérablement à leurs chagrins. – S’ils savent que je me porte bien et que j’espère réussir, pensait la pauvre pèlerine, mon père aura plus d’indulgence pour Effie, et Butler prendra plus de soin de lui-même ; car je sais que tous deux pensent à moi plus que je ne le fais moi-même.
Elle cacheta ses lettres avec soin, et les porta elle-même à la poste, où elle ne manqua pas de s’informer avec soin du jour où elles arriveraient à Édimbourg, et fut tout émerveillée d’apprendre combien il faudrait peu de temps pour qu’elles fussent rendues à leur destination. Après s’être acquittée de ce devoir, elle retourna chez son hôtesse, qui, comme nous l’avons dit, était sa compatriote, et qui l’avait invitée à dîner, et à rester chez elle jusqu’au lendemain matin.
On a souvent reproché aux Écossais, comme un préjugé et un sentiment étroit, cet empressement avec lequel ils se cherchent, se trouvent, et se rendent les uns aux autres tous les services dont ils sont capables. Nous croyons, au contraire, qu’il prend sa source dans un honorable patriotisme, et que les principes et les usages d’un peuple forment une sorte de garantie du caractère des individus. Si cette opinion n’était pas juste, il y a long-temps que l’expérience en aurait démontré la fausseté. Quoi qu’il en soit, si l’on considère l’influence de cet esprit national comme un nouveau lien qui attache les hommes les uns aux autres, et qui les porte à se rendre utiles à ceux de leurs concitoyens qui peuvent avoir besoin de leurs services, il nous semble qu’on doit
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