La Prison d'Édimbourg
l’Écosse, avec une seule lettre. La manière ordinaire de voyager était de prendre les chevaux de poste, un pour le voyageur, l’autre pour son guide. On en changeait de relais en relais, et ceux qui pouvaient endurer cette fatigue arrivaient en assez peu de temps. C’était un luxe pour les riches de se faire ainsi briser les membres en changeant de monture toutes les deux ou trois heures ; quant aux pauvres, ils n’avaient d’autres moyens de transport que ceux dont la nature les avait pourvus, et ils étaient dans la nécessité de s’en servir.
Grâce à un cœur plein de courage et à une santé robuste, Jeanie Deans, faisant environ vingt milles par jour et quelquefois davantage, traversa la partie méridionale de l’Écosse, entra en Angleterre, et arriva sans accident jusqu’à Durham.
Tant qu’elle avait été parmi ses concitoyens, et même parmi les habitans de la frontière, son plaid et ses pieds nus n’avaient pas attiré l’attention : on était trop habitué à ce costume pour le remarquer. Mais en approchant de cette dernière ville, elle s’aperçut que sa mise excitait des sarcasmes, et faisait jeter sur elle des regards de mépris. Elle pensa que c’était manquer de charité et d’hospitalité, que de se moquer d’un voyageur étranger, parce qu’il est vêtu suivant l’usage de son pays. Cependant elle eut le bon esprit de changer les parties de son costume qui l’exposaient aux railleries. En arrivant à Durham, elle plia sa mante à carreaux dans le petit paquet qu’elle portait sous le bras, et se conforma à l’usage extravagant des Anglais de porter toute la journée des bas et des souliers.
Elle avoua depuis que, sans parler de la dépense, elle fut long-temps avant de pouvoir marcher aussi commodément avec des souliers que sans souliers ; mais il y avait souvent un peu de gazon sur le bord de la route, et là elle soulageait ses pieds. Pour suppléer à la mante qui lui couvrait la tête comme un voile, elle acheta ce qu’elle appela une bonne-grâce {85} , c’est-à-dire un grand chapeau de paille, semblable à ceux que portent les paysannes d’Angleterre pour travailler aux champs. – Mais je fus bien honteuse, dit-elle quand je mis pour la première fois sur ma tête une bonne-grâce de femme mariée, tandis que j’étais encore fille.
Après ces changemens dans son costume, elle croyait n’avoir plus rien qui pût la faire reconnaître pour étrangère. Mais elle vit bientôt que son accent et son langage devenaient aussi une source inépuisable de plaisanteries, qu’on lui adressait dans un patois encore plus grossier que le jargon de son pays. Elle jugea donc qu’il était de son intérêt de parler le moins et le plus rarement qu’il lui serait possible. Si quelque passant lui adressait quelques mots d’honnêteté sur la route, elle se contentait de le saluer civilement en continuant son chemin, et elle avait soin de s’arrêter dans des endroits qui semblaient tranquilles et retirés. Elle trouva que le peuple anglais, quoique moins prévenant envers les étrangers qu’on ne l’était dans son pays moins fréquenté, ne manquait pas pourtant tout-à-fait aux devoirs de l’hospitalité. Elle obtenait aisément sa nourriture et son logement pour un prix fort modéré, et quelquefois l’hôte refusait de rien recevoir d’elle, en lui disant : – Vous avez une longue route à faire, jeune fille : gardez votre argent, c’est le meilleur ami que vous puissiez avoir en chemin.
Parfois aussi son hôtesse, frappée de la bonne mine de la jeune Écossaise, lui procurait soit une compagne de voyage, soit une place dans un chariot pour quelques milles, et lui donnait des avis sur les endroits où elle devait s’arrêter ensuite.
Notre voyageuse passa une journée presque entière dans la ville d’York, d’abord pour se reposer, ensuite parce qu’elle eut le bonheur de se trouver dans une auberge dont la maîtresse était sa compatriote ; un peu aussi parce qu’elle voulait écrire à son père et à Reuben, opération qui n’était pas sans difficulté pour elle, n’ayant guère l’habitude des compositions épistolaires. Voici la lettre qu’elle adressa à son père :
« MON CHER PÈRE,
» Ce qui me rend le voyage que je fais en ce moment plus pénible et plus douloureux, c’est la triste réflexion que je l’ai entrepris à votre insu ; ce que je n’ai fait qu’à contre-cœur, Dieu le sait, car l’Écriture dit :
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