La Prison d'Édimbourg
« Le vœu de la fille ne pourra la lier sans le consentement du père. » Il se peut donc que je doive me reprocher d’avoir commencé ce pèlerinage sans avoir demandé votre agrément. Mais j’avais dans l’esprit que je devais servir d’instrument pour sauver ma sœur dans cette extrémité, sans quoi, pour tout l’or et toutes les richesses du monde, pour tout le territoire des baronnies de Dalkeith et de Lugton, je n’aurais jamais pris un tel parti sans votre connaissance et votre permission.
» Oh ! mon cher père, si vous désirez que la bénédiction du ciel se répande sur mon voyage et sur votre maison, dites un mot ou du moins écrivez une ligne de consolation à la pauvre prisonnière. Si elle a péché, elle en a été punie par ses souffrances, et vous savez mieux que moi que nous devons accorder le pardon aux autres, si nous voulons l’obtenir pour nous-mêmes. Pardonnez-moi de vous parler ainsi ; il ne convient pas à une jeune tête de donner une leçon à vos cheveux blancs ; mais je suis si loin de vous, et je désire si vivement apprendre que vous lui avez pardonné, que ces deux motifs m’en font dire sans doute plus que je ne devrais.
» Les gens de ce pays sont fort civils, et, comme les barbares au saint Apôtre, ils m’ont témoigné beaucoup de bonté. C’est une sorte de peuple élu sur la terre, car j’y vois quelques églises sans orgues comme les nôtres {86} , et qu’on les appelle des maisons d’assemblées ; le ministre y prêche sans surplis. Mais presque tout le pays est prélatiste, ce qui est terrible à penser ! J’ai vu deux ministres suivre les chiens à la chasse, au plus hardi, comme pourraient le faire Roslin ou Driden, le jeune laird de Loup-the-Dyke {87} ; spectacle bien triste à voir !
» Ô mon cher père, songez à me donner une bénédiction chaque matin et chaque soir, et souvenez-vous dans vos prières de votre fille soumise et affectionnée,
» JEANIE DEANS.
» P. S . J’ai appris d’une brave femme, la veuve d’un nourrisseur de bétail, qu’on a dans le Cumberland un remède contre la maladie des vaches qui règne en ce moment. J’en ai pris la recette. C’est une pinte de bière (à ce qu’ils disent, car leur pinte, en comparaison de la nôtre, est à peine une demi-chopine) bouillie avec du savon et de la corne de cerf, et qu’on fait avaler à la bête malade. Vous pourriez l’essayer sur votre génisse d’un an à la tête blanche ; si cela ne lui fait pas de bien, cela ne lui fera pas de mal. C’était une bonne femme, et elle paraissait bien entendue en ce qui concerne le bétail à cornes. Quand je serai à Londres, j’ai dessein d’aller voir votre cousine mistress Glass, la marchande de tabac, à l’enseigne du Chardon, qui a l’honnêteté de vous en envoyer tous les ans en présent. Elle doit être bien connue dans Londres, et je présume que je n’aurai pas de peine à trouver sa demeure. »
Puisque nous avons tant fait que de trahir les confidences de notre héroïne pour une première lettre, nous communiquerons encore au lecteur celle qu’elle écrivit à son amant.
« MONSIEUR REUBEN BUTLER,
» Espérant que cette lettre vous trouvera mieux portant, j’ai le plaisir de vous dire que je suis arrivée sans accident dans cette grande ville. Je ne suis pas fatiguée du voyage, et je ne m’en porte que mieux. J’ai vu bien des choses que je me réserve de vous conter quelque jour, comme la grande église de cette ville et des moulins qui n’ont ni roues ni écluses, et que le vent fait mouvoir : chose bien étrange ! Un meunier voulait m’y faire entrer pour m’en montrer le travail ; mais je ne suis pas venue en ce pays pour faire connaissance avec des étrangers : je vais droit mon chemin : je salue ceux qui me parlent civilement, mais je ne réponds de la langue qu’aux femmes de ma religion.
» Je voudrais connaître quelque chose qui pût vous faire du bien, monsieur Butler, car il y a dans cette ville d’York des apothicaires qui ont plus de remèdes qu’il n’en faudrait pour guérir toute l’Écosse ; mais comment connaître quel est celui qu’il vous faudrait ? Je voudrais vous savoir une espèce de bonne mère pour vous soigner, qui vous empêchât de trop vous fatiguer à lire ou à donner des leçons aux enfans, et qui vous présentât le matin un verre de lait bien chaud : alors je serais plus tranquille sur votre compte.
» Cher monsieur Butler, ayez bon
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