La Prison d'Édimbourg
prudence ; dites à mon père tout ce que vous jugerez convenable ; mais quoi que vous jugiez à propos de lui dire, il n’en apprendra de moi ni plus ni moins.
Son père lui lança un regard d’indignation qui se changea en pitié quand il le vit retomber sur son lit, épuisé de la fatigue que cette scène lui avait occasionée. Il sortit de la chambre, et Jeanie le suivit. Elle était sur le seuil de la porte lorsque Georges Staunton se leva et prononça le moi : souvenez-vous {104} ! du même ton que Charles I er sur l’échafaud. M. Staunton le père conduisit Jeanie dans un cabinet dont il ferma la porte.
– Jeune femme, lui dit-il, il y a dans votre air et dans votre visage quelque chose qui annonce le bon sens, la candeur, l’innocence même, si je ne me trompe pas ; et, s’il en est autrement, vous êtes l’hypocrite la plus consommée que j’aie jamais vue. Je ne vous demande pas de me révéler des secrets que vous voulez cacher, surtout ceux qui concernent mon fils ; sa conduite ne me permet pas d’espérer que j’en apprenne jamais rien qui puisse me donner quelque satisfaction. Mais si vous êtes telle que j’aime à le supposer, croyez-moi, quelles que soient les malheureuses circonstances qui vous ont fait contracter des liaisons avec Georges Staunton, vous ne pouvez assez vous hâter de les rompre.
– Je ne sais trop si je vous comprends bien, monsieur, mais je puis vous assurer que je l’ai vu aujourd’hui pour la seconde fois de ma vie, et la première je n’ai point passé avec lui plus d’un quart d’heure ; ces deux entrevues me portent à désirer bien vivement de ne le revoir jamais.
– Ainsi donc, votre dessein bien réel est de quitter ce comté et de vous rendre à Londres ?
– Bien certainement, monsieur. Il y va de la vie, et si j’étais sûre de ne pas faire de mauvaise rencontre en route…
– J’ai fait prendre des informations sur les gens dont vous m’avez parlé. Ils paraissent avoir quitté leur lieu de rendez-vous, mais ils peuvent être cachés dans les environs ; et, comme vous prétendez avoir des raisons particulières pour les craindre, je vous confierai à un homme sûr, qui vous conduira jusqu’à Stamford ; là vous pourrez prendre la voiture qui va de cette ville à Londres.
– Ah ! une voiture n’est pas faite pour des gens de ma sorte, dit Jeanie, ne connaissant pas les diligences, qui n’étaient encore en usage, à cette époque, que dans le voisinage de la métropole.
M. Staunton lui expliqua en peu de mots que cette manière de voyager serait plus prompte, plus sûre et moins chère que toute autre, et Jeanie lui témoigna sa reconnaissance d’un air si sincère, qu’il lui demanda si elle avait suffisamment d’argent pour son voyage, et lui offrit même d’y suppléer. Elle le remercia, et lui dit qu’elle n’en manquait point. Il est vrai qu’elle avait économisé sa bourse avec le plus grand soin. Cette réponse servit à éloigner quelques doutes que M. Staunton conservait encore assez naturellement, et il fut convaincu que, si elle cherchait à le tromper sur quelque point, du moins l’argent n’entrait pour rien dans ses projets. Il lui demanda ensuite dans quel quartier de Londres elle comptait aller.
– Chez une de mes cousines, monsieur, mistress Glass, marchande de tabac, à l’enseigne du Chardon, quelque part dans la ville.
Jeanie prononça ces mots avec une satisfaction intérieure, comptant bien que des relations si respectables lui donneraient quelque importance aux yeux du recteur. Elle fut donc bien surprise quand il lui dit :
– Et n’avez-vous pas une adresse plus précise, ma pauvre fille ? n’avez-vous réellement pas d’autre connaissance à Londres ?
– Je dois voir aussi le duc d’Argyle, monsieur ; peut-être pensez-vous que je ferais mieux d’aller d’abord chez lui ? Sa Grâce me ferait sans doute conduire, par quelqu’un de ses gens, à la boutique de ma cousine.
– Vous connaissez donc quelqu’un des gens du duc d’Argyle ?
– Non, monsieur.
– Il faut qu’il y ait quelque chose de dérangé dans son esprit ! pensa le recteur. Cependant elle parle sensément, il n’y a pas de reproche à lui faire ; elle ne manque pas d’argent, elle en refuse même ; je n’ai donc aucun droit de mettre obstacle à son départ. Comme j’ignore la cause de votre voyage, lui dit-il, et que je ne vous la demande même pas, je ne puis vous donner
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