La Prison d'Édimbourg
dangereuse pour celui qui l’avait écrite ne pût jamais tomber entre les mains de personne.
La question de savoir si, à la dernière extrémité, elle avait le droit de sauver la vie de sa sœur en sacrifiant celle d’un homme qui, quoique coupable envers le gouvernement, ne lui avait fait à elle personnellement aucun mal, fut ensuite le sujet de ses réflexions. Dans un sens, il semblait qu’en dénonçant Staunton, qui était la seule cause des fautes et des malheurs de sa sœur, elle ne commettait qu’un acte de justice, un acte qui pouvait passer pour un décret équitable de la Providence. Mais Jeanie, suivant les principes rigoureux de morale dans lesquels elle avait été élevée, avait à considérer l’action dont il s’agissait, non seulement sous un point de vue général, mais relativement à ses propres principes et à sa conscience. Quel droit avait-elle de sacrifier la vie de Staunton pour sauver celle d’Effie ; de vendre le sang de l’un pour épargner celui de l’autre ? Son crime. Ce crime pour lequel il était proscrit par la loi, était un crime contre l’ordre public, mais ce n’en était pas un contre elle. Il n’avait aucun rapport ni aux malheurs ni à la condamnation d’Effie.
Quoique l’esprit de Jeanie se révoltât toutes les fois que l’idée de la mort de Porteous se présentait à son imagination, cependant elle ne pouvait regarder cet attentat comme un meurtre qui doit armer contre l’assassin tous ceux qui peuvent connaître sa retraite. Ce crime était accompagné de circonstances qui, sans lui ôter son caractère de violence, en diminuaient au moins l’horreur aux yeux des gens de la condition de Jeanie. Les rigueurs employées ou proposées par le gouvernement contre la ville d’Édimbourg, l’ancienne métropole de l’Écosse, la mesure impopulaire et peu sage de forcer le clergé à proclamer en chaire la récompense offerte aux dénonciateurs du coupable, n’avaient fait qu’irriter le peuple, et le meurtre de Porteous s’associait en quelque sorte dans son esprit à l’idée de son ancienne indépendance. Il était hors de doute que quiconque dénoncerait un des complices de cet acte de violence serait regardé par la populace comme coupable de trahison envers son pays. Jeanie joignait au rigorisme presbytérien une sorte d’esprit national, et n’aurait voulu pour rien au monde acquérir parmi ses concitoyens la honteuse célébrité du perfide Monteith et de quelques autres qui, ayant trahi la cause de leur patrie, sont voués à l’exécration du peuple et des paysans de génération en génération. Et cependant, quand il ne fallait une seconde fois qu’un mot pour sauver la vie de sa sœur, c’était un effort bien pénible pour le cœur aimant de Jeanie que de se décider à ne pas le prononcer.
– Que le Seigneur daigne m’inspirer ce que je dois faire, et m’en donner le courage ! pensa-t-elle. Il semble que ce soit sa volonté de me soumettre à des épreuves qui sont au-dessus de mes forces.
Cependant son conducteur, ennuyé du silence, devenait plus communicatif. C’était un paysan qui ne manquait pas de bon sens, mais qui, n’ayant ni plus de délicatesse ni plus de prudence que ses pareils n’en ont ordinairement, choisit pour sujet de conversation, suivant l’usage assez ordinaire des gens de sa condition, les affaires de la famille Willingham, et Jeanie en apprit quelques particularités que nous croyons devoir faire connaître à nos lecteurs.
Le père de Georges Staunton avait été militaire. Pendant qu’il servait dans les Indes occidentales, il avait épousé la fille d’un riche colon dont il n’avait eu qu’un seul enfant, le malheureux jeune homme dont nous avons déjà tant de fois parlé. Il passa ses premières années près d’une mère trop tendre, qui ne le contrariait jamais, entouré d’esclaves qui se faisaient une étude d’obéir à ses moindres caprices et de satisfaire toutes ses fantaisies. Son père était un homme de mérite et de sens ; il voyait avec peine l’indulgence excessive de son épouse pour leur enfant ; mais les devoirs de son état le retenaient souvent hors de chez lui ; mistress Staunton, belle et volontaire, était d’une santé faible, et il était difficile pour unhomme tendre et paisible de la contrarier dans son excessive indulgence pour un fils unique. Tout ce qu’il fit même pour balancer les funestes effets du système de sa femme ne fit que les
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