La Prison d'Édimbourg
belle ; et si la faiblesse de la malade en diminuait l’éclat, elle ajoutait à sa douceur. Archibald, quoique homme de cour, et insouciant par habitude et par état, fut attendri, la dame de la laiterie sanglota, et Jeanie sentit les larmes remplir abondamment ses yeux. La garde elle-même, à qui toutes les sortes d’agonie étaient familières, ne semblait pas maîtresse de son émotion.
Il était évident que la pauvre Madge s’affaiblissait de plus en plus ; sa respiration devenait plus pénible, et ses gémissemens annonçaient que la nature allait succomber dans sa dernière lutte. Mais l’esprit de mélodie, si l’on peut l’appeler ainsi, qui avait dû, dans le principe, posséder si fortement cette infortunée, semblait, à chaque intervalle de souffrance, triompher encore de sa faiblesse et de ses angoisses. Il est remarquable qu’on pouvait reconnaître dans ses chants quelque chose d’approprié indirectement à sa situation présente. Elle avait commencé une ancienne ballade :
Ma couche est froide et solitaire,
Je n’ai qu’un pénible sommeil ;
Perfide auteur de ma misère,
Avec moi tu seras au coucher du soleil.
Le traître, hélas ! à son amie
Avait pourtant promis sa foi !
Mais demain finira sa vie !
Vous qui m’aimez encor, ne pleurez plus sur moi.
Tout-à-coup elle abandonna cet air pour un autre plus bizarre, moins monotone et moins régulier ; mais ceux qui l’écoutaient ne purent recueillir que quelques fragmens des paroles :
Marie est au bocage
Errante au point du jour ;
Caché sous le feuillage,
L’oiseau chante l’amour.
– Rouge-gorge fidèle,
Obtiendrai-je un époux ?
– Une couche, ma belle,
Se prépare pour vous !
– Où mon lit d’hyménée
Est-il petit oiseau ?
– Ton lit, infortunée,
Ne sera qu’un tombeau !
Du clocher solitaire
Le hibou chantera :
Sous l’if du cimetière
Son cri t’appellera.
Sa voix expira avec les dernières notes ; elle tomba dans un sommeil dont la garde, instruite par l’expérience, assura ceux qui étaient là qu’elle ne se réveillerait plus, excepté peut-être dans sa dernière agonie.
Sa première prédiction s’accomplit. La pauvre maniaque quitta la vie sans faire entendre même un soupir ; mais nos voyageurs ne furent pas témoins de cette catastrophe : ils sortirent de l’hôpital aussitôt que Jeanie se fut convaincue qu’elle ne pourrait obtenir de la mourante aucun éclaircissement sur l’infortune de sa sœur.
CHAPITRE XLI.
« Veux-tu donc m’accepter pour guide ?
» La lune brille, et calme est l’Océan :
» J’en connais le sentier humide.
» Viens avec moi, sois confiant. »
SOUTHEY. Thalaba.
Jeanie, malgré sa constitution robuste, se trouvait si agitée par ces différentes scènes, qu’Archibald jugea convenable de lui faire prendre un jour entier de repos au village de Longtown. Ce fut en vain qu’elle l’assura qu’elle n’en avait pas besoin. L’homme de confiance du duc d’Argyle agissait avec prudence, et comme il avait étudié la médecine dans sa jeunesse (c’était du moins ce qu’il disait), pour avoir, trente ans auparavant, broyé, pendant six mois, des drogues dans le mortier de M. Mangelman, apothicaire de Greenock, il ne cédait pas aisément toutes les fois qu’il s’agissait d’une question qui intéressait la santé.
Dans cette occasion, il avait reconnu des symptômes fébriles dans le pouls, et, ayant expliqué à Jeanie cette phrase scientifique qu’elle ne comprenait point, il lui persuada de se mettre au lit, et lui ordonna l’eau de gruau et la tranquillité.
Mais Archibald ne bornait pas son attention à l’état physique de la malade, ses observations se dirigeaient aussi sur son état moral. Il avait remarqué que l’exécution de la vieille femme et la fin déplorable de sa malheureuse fille avaient fait sur Jeanie une impression trop forte pour qu’on pût ne l’attribuer qu’à des motifs d’humanité. Cependant c’était une jeune fille sensée, d’une force d’esprit peu ordinaire ; elle n’avait pas les nerfs délicats et sensibles des belles dames de la ville, et Archibald ignorant qu’il y eût jamais eu aucune relation entre la malade et Madge ou sa mère, si ce n’est qu’elle avait vu autrefois la fille en Écosse, attribua la sensation si vive que ces évènemens lui avaient fait éprouver, aux circonstances malheureuses dans lesquelles sa sœur s’était trouvée tout
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