La Prison d'Édimbourg
la bouche semblait prête à laisser échapper une communication qu’un regard d’Archibald arrêta au passage ; et elle serra les lèvres l’une contre l’autre, de manière à les fermer hermétiquement, comme si elle eût craint que le secret n’en sortît malgré elle.
Jeanie vit qu’on lui cachait quelque chose, et ce ne fut que d’après les assurances réitérées d’Archibald qu’il n’avait reçu aucune mauvaise nouvelle de son père de sa sœur, ni d’aucun de ses amis, qu’elle reprit un peu de tranquillité. Elle ne pouvait appréhender aucun danger de la part de ses compagnons de voyage, qui avaient la confiance de son bienfaiteur ; cependant Archibald la vit si chagrine, que, comme dernière ressource, il lui présenta le billet suivant :
« JEANIE DEANS, –
» Vous me ferez plaisir de consentir à accompagner Archibald à une journée de distance au-delà de Glascow, et de ne lui faire aucune question. Vous obligerez votre ami,
» ARGYLE ET GREENWICH. »
Cette épître laconique d’un seigneur à qui elle avait tant et de si grandes obligations, mit fin à toutes les objections de Jeanie ; mais, loin de diminuer sa curiosité, elle ne fit que l’augmenter, car il était bien certain qu’il existait un mystère qu’on voulait lui cacher : mais obéissant aux ordres du duc, elle ne se permit aucune question.
On ne semblait plus se diriger vers Glascow ; au contraire, on suivait la rive gauche de la Clyde, dont les détours leur offraient mille perspectives pittoresques, et qui ne tarda pas à présenter à leurs yeux le spectacle imposant d’un fleuve navigable.
– Vous n’entrez donc pas dans Glascow ? dit Jeanie en voyant les postillons passer à côté du pont qui conduisait à cette ville, sans le traverser.
– Non, répondit Archibald : il y règne quelque agitation ; et comme on sait que le duc est en opposition avec le gouvernement en ce moment, nous y serions peut-être trop bien accueillis. Peut-être aussi s’aviserait-on de se rappeler que le capitaine de Carrick descendit dans la ville avec les Highlanders à l’époque du tumulte de Shawfield en 1725 {118} , et alors nous pourrions y être trop mal reçus. Dans tous les cas, il vaut mieux pour nous, et surtout pour moi, qu’on peut supposer dans la confidence de Sa Grâce, laisser ces bonnes gens agir à leur fantaisie, sans leur donner lieu de songer à nous.
Jeanie ne trouva rien à répliquer à un tel raisonnement. Il lui parut pourtant destiné à lui faire sentir toute l’importance d’un personnage tel que M. Archibald, plutôt qu’à lui faire connaître la vérité.
La voiture roulait cependant ; la rivière allait toujours s’élargissant, et prenait par degrés la dignité d’un détroit ou bras de mer. On voyait que l’influence du flux et reflux de la mer devenait de plus en plus sensible, et, suivant les belles expressions de celui qui porte la couronne de laurier {119} :
L’onde de plus en plus écarte ses rivages.
…
Le cormoran, posé sur les rescifs,
Ouvre à demi ses noires ailes.
– De quel côté se trouve Inverrary ? demanda Jeanie en portant ses regards sur ce sombre océan des montagnes d’Écosse, qui, comme entassées les unes sur les autres, et entrecoupées de lacs, s’étendent vers le nord sur le rivage opposé du fleuve ; ce château est-il la demeure du duc ?
– Ce château ? répondit Archibald ; non vraiment. C’est l’ancien château de Dumbarton, la place la plus forte de l’Europe, n’importe quelle est la seconde. Le gouvernement en est toujours confié au plus brave Écossais. Sir William Wallace en était gouverneur dans le temps de nos guerres avec l’Angleterre, et sa Grâce le duc d’Argyle en est le gouverneur actuel.
– Et le duc demeure donc sur ce rocher élevé ? demanda Jeanie.
– Non, non. Il a un vice-gouverneur qui y commande pour lui, et qui demeure dans cette maison blanche au pied du rocher. Le duc y va quelquefois, mais il n’y fait pas son domicile.
– Je l’espère bien, dit mistress Dutton, sur l’esprit de laquelle la route n’avait pas fait une impression favorable depuis Dumfries : s’il demeurait là, tout duc qu’il est, il pourrait bien siffler afin de faire venir une autre femme que moi pour surveiller sa basse-cour. Je n’ai pas quitté une bonne place et mes amis pour voir des vaches mourir de faim sur des rochers nus et stériles, ou pour être perchée au haut d’un roc,
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