La Prison d'Édimbourg
pièces d’or en se peignant de la main gauche, et des pièces d’argent en se peignant de la droite. Serrez ces papiers dans votre poche, et ne les tenez pas comme cela à la main, ou je vais les remettre dans la vieille Bible. Nous sommes trop près des montagnes pour laisser voir que nous avons tant d’argent à la maison. Allez donc chez Knockdunder, et convenez du prix avec lui. Ne soyez pas assez simple pour lui dire que vous avez toute la somme nécessaire ; dites-lui que vous avez trouvé un ami qui vous aide, c’est la vérité ; et marchandez sou à sou.
En lui donnant cet avis, Jeanie prouvait assez, quoiqu’elle ne sût pas faire d’autre usage de son argent que de le cacher soigneusement dans une vieille Bible, qu’elle avait quelque chose de l’adresse de son père David dans les affaires humaines. Et Reuben Butler, qui ne manquait pas de prudence, suivit de point en point le conseil de sa femme.
La nouvelle que le ministre avait acheté Craigsture se répandit promptement dans la paroisse. Les uns s’en réjouirent et lui firent compliment, d’autres regrettèrent que ce domaine fût sorti d’une famille à laquelle il appartenait depuis long-temps.
Butler fut alors obligé de faire un voyage à Édimbourg vers la Pentecôte, pour les affaires de la succession de son beau-père, afin de recueillir quelques sommes qui lui étaient dues, et dont il avait besoin pour effectuer le paiement de son acquisition. Ses collégues ecclésiastiques saisirent cette circonstance pour le nommer leur délégué à l’assemblée générale, ou convention de l’Église d’Écosse, qui a lieu ordinairement tous les ans pendant la seconde quinzaine du mois de mai.
CHAPITRE L.
« Quelle est cette divinité ?
» Est-ce une hamadryade, est-ce une néréide
» Qui, fendant la plaine liquide,
» Vient nous faire admirer sa grâce et sa beauté ? »
MILTON.
Peu de temps après l’incident de la Bible et des billets de banque, la fortune prouva qu’elle réservait des surprises à mistress Butler, aussi bien qu’à son mari. Le ministre, pour pouvoir terminer les diverses affaires qui nécessitaient son voyage à Édimbourg, avait été obligé de partir de chez lui à la fin de février, calculant que l’intervalle qui s’écoulerait depuis son départ jusqu’à la Pentecôte (24 mai) ne serait pas trop long pour faire passer de la bourse des différens débiteurs de son beau-père dans la sienne, les sommes dont il avait besoin pour compléter le paiement du prix de son acquisition.
Mistress Butler se trouvait pour la première fois séparée de son mari, et la mort récente de son père, avec lequel elle avait toujours vécu, lui rendait cette séparation encore plus pénible. Sa maison lui paraissait un désert, et elle n’était distraite de ses chagrins que par les soins qu’exigeaient ses enfans.
Un jour ou deux après le départ de Butler, tandis qu’elle s’occupait de quelques détails domestiques, elle entendit entre eux une querelle qui, paraissant assez vive, lui sembla mériter son intervention. Elle les fit comparaître tous trois devant elle, et Fémie, qui n’avait pas encore dix ans, accusa ses deux frères d’avoir voulu lui prendre par force un papier qu’elle lisait.
– C’est un papier qui n’est pas bon à lire pour Fémie, dit l’aîné qui se nommait David.
– C’est l’histoire d’une méchante femme, ajouta Reuben.
– Et où avez-vous pris ce papier, petite sotte ? dit mistress Butler : de quel droit osez-vous toucher aux papiers de votre papa ?
– Ce n’est point un papier de papa, dit Fémie en montrant une feuille toute chiffonnée ; May Hettly me l’a donné, et il enveloppait les fromages qui sont venus hier d’Inverrary.
Il est bon d’informer ici nos lecteurs qu’il avait toujours existé des relations de politesse entre mistress Butler et la laitière en chef d’Inverrary, notre ancienne connaissance mistress Dutton, devenue alors mistress Mac-Corkindale, et qu’elles se faisaient de temps en temps de petits présens.
Jeanie prit des mains de l’enfant le papier qui causait la dispute, afin de s’assurer par elle-même de ce qu’il contenait. Mais quel fut son étonnement en lisant ce titre en grosses lettres : « Relation de l’exécution et des dernières paroles de Meg Murdockson, du meurtre barbare de sa fille Madge Murdockson, dite Wildfire, et de son pieux entretien avec Sa Révérence l’archidiacre
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