La Prison d'Édimbourg
le créancier pourrait redemander son argent quand nous ne serions pas prêts à le lui rendre, et que si je venais à mourir, cette dette pourrait vous mettre dans l’embarras.
– Et si nous avions cette somme, dit Jeanie, nous pourrions acheter cette belle terre où il y a de si beaux pâturages ?
– Certainement, et Knockdunder, qui s’y connaît, m’y engage fortement. À la vérité c’est son neveu qui la vend.
– Eh bien, Reuben ! il faut lire un verset de la Bible. Vous savez qu’on y trouve quelquefois de l’argent. Vous en souvenez-vous ?
– Si je m’en souviens, Jeanie, oui, oui. Mais ce n’est pas dans ce siècle qu’on voit des miracles tous les jours.
– Il faut pourtant voir, dit mistress Butler. Et ouvrant une petite armoire dans laquelle elle gardait son miel, son sucre, ses pots de gelées, et quelques fioles de médecines pour les bestiaux, elle en tira de derrière un triple rempart de pots et de bouteilles, une vieille Bible qui avait été la compagne fidèle de David Deans dans sa jeunesse, alors qu’il avait été obligé de fuir la persécution ; il l’avait donnée à sa fille quand sa vue affaiblie l’avait obligé à en choisir une imprimée en plus gros caractères. Jeanie la présenta à Butler, qui la regardait d’un air de surprise, et lui dit de voir si ce livre ne pourrait rien faire pour lui. Il en ouvrit les agrafes, et y trouva un assez grand nombre de billets de banque de cinquante livres sterling, qui y avaient été placés séparément entre les feuillets.
– Je ne comptais vous parler de mes richesses, Reuben, lui dit-elle en souriant, qu’à l’instant de ma mort ou dans quelque besoin de famille ; mais je crois qu’il vaut mieux les employer à acheter ces bons pâturages, que de les laisser au fond de cette armoire.
– Et comment est-il possible que vous ayez une telle somme, Jeanie ? dit Butler en comptant les billets : en voilà pour plus de mille livres !
– Quand il y en aurait pour dix mille, dit Jeanie, l’argent est entré chez nous par une bonne porte. Je ne sais pas quel en est le compte, mais c’est tout ce que j’ai. Quant à votre question, comment il est possible que j’aie une telle somme, tout ce que je puis vous dire, c’est que je l’ai eue honorablement, car c’est un secret qui ne m’appartient pas, sans quoi vous l’auriez su depuis long-temps ; ainsi donc, Reuben, ne me faites pas d’autres questions, je ne serais pas libre d’y répondre.
– Répondez à une seule ; cette somme est-elle à vous pour en disposer à votre gré ? est-il possible que personne n’y ait droit que vous ?
– Elle est à moi. J’en puis disposer, et c’est ce que j’ai déjà fait, car elle est à vous maintenant. Vous pouvez, Reuben, vous appeler Bible Butler, comme votre grand-père que mon pauvre père n’aimait pas trop. Seulement si vous y consentez, je voudrais qu’à notre mort Fémie en eût une bonne part.
– Ce sera comme vous le voudrez, Jeanie. Mais qui aurait jamais fait choix d’une Bible pour y cacher des richesses terrestres ?
– C’est une de mes anciennes rubriques, comme vous dites, Reuben. J’ai pensé que si Donacha venait faire ici un coup de main, la Bible serait la dernière chose dont il se soucierait. Mais s’il m’arrive encore d’autre argent, comme cela n’est pas impossible, je vous le remettrai à mesure, et vous l’emploierez comme vous l’entendrez.
– Et il ne faut pas que je vous demande comment il se fait que vous ayez tant d’argent ?
– Non, Reuben, il ne le faut pas ; car si vous me le demandiez bien sérieusement, je vous le dirais peut-être, et j’aurais tort. Vous seriez le premier à me le dire.
– Mais au moins ce n’est rien qui vous laisse du trouble dans l’esprit ?
– Les biens du monde ne vont jamais sans trouble, Reuben. Mais ne me faites pas de question. Cet argent ne me charge pas la conscience, et personne n’a droit de nous en demander un plack.
– Bien certainement, dit le ministre après avoir de nouveau compté l’argent et examiné les billets, comme pour se convaincre que ses yeux ne le trompaient point, jamais il n’y a eu dans le monde un homme qui ait eu le bonheur d’avoir une femme comme la mienne. Les biens du monde la suivent comme la bénédiction du ciel.
– Oui, dit Jeanie en souriant, jamais on n’en a vu, depuis la princesse des contes d’enfans qui faisait tomber de sa chevelure des
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