La Prison d'Édimbourg
plus porté à le croire, qu’on avait remarqué que les bestiaux du vieux Deans étaient respectés par les voleurs, parce qu’ils étaient sur la propriété du duc, tandis qu’on enlevait une vache au ministre toutes les fois qu’on en trouvait l’occasion. Les brigands parvinrent même une fois à s’emparer de toutes celles qui lui restaient, et ils les emmenaient en triomphe, quand Butler, oubliant sa profession paisible, dans cette extrême nécessité, se mit à leur poursuite à la tête de quelques uns de ses voisins, et réussit à leur reprendre ses bestiaux. Deans, malgré son âge très avancé, prit part à cet exploit ; monté sur un petit cheval ou poney des Highlands, et une grande claymore à sa ceinture, il se comparaît (car il ne manqua pas de s’attribuer la réussite de cette expédition) à David, fils de Jessé, reprenant sur les Amalécites le butin qu’ils avaient fait. Cet acte de vigueur produisit pourtant un bon effet : Donacha, voyant qu’on osait lui résister, s’éloigna du pays, et n’y exerça plus de brigandages. Il continua cependant à s’y livrer un peu plus loin, et l’on entendit parler de temps en temps de ses hauts faits jusqu’à l’année 1751, que le destin le délivra de la crainte que lui avait inspirée le second David, car le vénérable patriarche de Saint-Léonard alla rejoindre ses ancêtres.
David Deans mourut plein d’années et d’honneur. On ne connaît pas au juste l’époque de sa naissance, mais il doit avoir vécu environ quatre-vingt-dix ans, car il parlait d’évènemens arrivés du temps de la bataille de Bothwell, comme de choses dont il avait été témoin. On dit même qu’il y avait porté les armes avec les puritains. Un jour qu’un laird jacobite, pris de vin, disait qu’il voudrait trouver un Whig du pont de Bothwell pour lui frotter les oreilles, – Vous en avez un sous la main, lui dit David en fronçant le sourcil, essayez ! et il fallut l’intervention de Butler pour rétablir la paix.
Deans rendit le dernier soupir entre les bras de sa fille chérie, en remerciant la Providence des bienfaits qu’il en avait reçus dans cette vallée d’épreuves, et des croix qu’elle lui avait envoyés pour mortifier l’orgueil que pouvaient lui inspirer les dons qu’elle lui avait accordés. Il pria de la manière la plus touchante pour Jeanie, pour son mari, pour leur famille ; et dans une autre prière pathétique, que ne comprirent que trop bien ceux qui l’entouraient alors, il supplia le divin berger de ne pas oublier, quand il rassemblerait son troupeau, la brebis égarée qui pouvait être encore en ce moment la proie des loups ravisseurs. Après avoir aussi demandé au ciel la prospérité de la maison d’Argyle et la conversion de Duncan de Knockdunder, il se trouva épuisé, et fut hors d’état de prononcer aucune prière suivie. On lui entendit seulement murmurer les mots défections, excès de droite, erreur à gauche, etc. Mais, comme May Hettly le fit observer, sa tête n’y était plus ; ces expressions n’étaient qu’une habitude automatique, et il mourut en paix avec tous les hommes, environ une heure après.
Malgré l’âge avancé de son père, cette mort fut la source d’une vive affliction pour mistress Butler. Elle était habituée à consacrer une grande partie de son temps aux soins qu’elle lui donnait, et quand le bon vieillard n’exista plus, elle crut avoir fini une partie de ce qu’elle avait à faire dans ce monde. Sa fortune disponible, qui montait à environ quinze cents livres sterling, passa aux habitans de la manse, qu’elle ne consola point de leur perte. Il fallut pourtant penser à l’emploi qu’on pourrait en faire.
– Si nous plaçons cette somme sur hypothèque, dit Butler, il en arrivera peut-être comme de l’argent que votre père a prêté au laird de Lounsbeck, dont il n’a jamais pu toucher ni intérêt ni capital. Si nous la mettons dans les fonds publics, nous devons nous souvenir de l’entreprise de la mer du Sud, dans laquelle les intéressés ont tout perdu. Le petit bien de Craigsture est à vendre ; il n’est qu’à deux milles de la manse, et Knockdunder m’assure que le duc ne pense pas à l’acheter. Mais on en demande deux mille cinq cents livres sterling, et cela ne m’étonne pas, car il les vaut bien. Tout ce qui m’embarrasse, c’est qu’il nous manquerait mille livres, et il me répugne de les emprunter, parce que d’une part
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