La Prison d'Édimbourg
et les dîmes du vicariat et de la cure depuis 1689, pour ne pas avoir un petit bout de prière la première fois que je vous en demande ? Décampez avec toute votre w higuerie, si c’est comme cela. Le vieux desservant Kilstoup m’aurait déjà lu la moitié du livre de prières. Allez-vous-en, je n’ai que faire de vous. Allons, docteur, voyons, que pouvez-vous faire pour moi ?
Le docteur avait pris des informations, pendant ce temps, de la femme de charge, et ne voulant pas le flatter de vaines espérances, il lui avoua que tous les secours de la médecine ne pouvaient prolonger ses jours que de quelques heures.
– Oui-dà ! Eh bien, allez-vous-en au diable avec le ministre ! N’êtes-vous venus ici que pour me dire que vous ne pouvez m’être bons à rien ? Hors d’ici ! Jenny, mettez-les à la porte ! Mon fils, je vous laisse ma malédiction et la malédiction de Cromwell, si vous leur donnez argent ou cadeaux, – si peu même qu’une bride.
Le docteur et le ministre se retirèrent à l’instant, pendant que Dumbiedikes se livrait à un de ces accès de langage profane qui lui avaient procuré le surnom de Damn-me Dikes.
– Donnez-moi la bouteille d’eau-de-vie, Jenny, cria-t-il d’une voix qui annonçait la colère et la souffrance : je puis bien mourir sans eux comme j’ai vécu. J’ai pourtant quelque chose sur le cœur, voisin Novit, quelque chose qu’une pinte d’eau-de-vie n’en chasserait pas. Les Deans de Woodend et cette vieille veuve du dragon de Bersheba, ils mourront de faim ! – Regardez un peu, Jean, quel temps fait-il ?
– Il neige, mon père, répondit Jean après avoir ouvert la fenêtre et regardé avec le plus grand sang-froid.
– Ils mourront dans les neiges ! ils mourront de froid ! dit le pécheur mourant ; quant à moi, j’aurai assez chaud peut-être, si tout ce qu’on dit est vrai.
Cette dernière observation fut faite à demi-voix, et d’un ton qui fit frémir même le procureur. Il essaya, probablement pour la première fois de sa vie, de glisser un mot d’avis spirituel, et de verser un baume sur les plaies de lame du vieux laird, en lui conseillant la réparation des injures et la restitution des biens dont il avait dépouillé deux familles à force d’exactions, restitutio in integrum, dit-il, d’après les lois civiles. Mais Mammon combattait vigoureusement pour conserver la place que le remords voulait occuper dans son cœur, et ce démon de l’avarice y réussit en partie, comme un ancien tyran l’emporte sur une troupe d’insurgés.
– Ça ne se peut pas ! ça ne se peut pas ! ça me tuerait ! Pouvez-vous me dire de rendre de l’argent, quand vous savez que j’en ai tellement besoin ! Et, quant à Bersheba, ce bien est au milieu de mes domaines, il ne peut pas s’en séparer. Non, Novit, non, ça ne se peut pas ; ce serait me tuer que de les abandonner.
– Il faut pourtant mourir, laird, et peut-être mourrez-vous plus content. Si vous le voulez, je vais dresser les actes, c’est l’affaire d’un instant.
– Ne me parlez pas ainsi, dit le moribond en s’appuyant pour se soulever, ne me parlez pas ainsi, ou je vous jette la bouteille à la tête ! Jean, mon garçon, soyez humain avec ces pauvres gens, les Deans et les Butler. Ne souffrez pas qu’on empiète sur vos droits, mais soyez humain. Surtout conservez Bersheba. Laissez-y les Butler ; ne chassez pas les Deans, faites-leur payer une rente modérée…, c’est-à-dire qu’ils puissent avoir la soupe et le pain : votre père s’en trouvera peut-être mieux là où il va.
Après avoir donné ces instructions contradictoires, le laird se trouva l’esprit tellement soulagé, qu’il but trois verres d’eau-de-vie coup sur coup, et il rendit le dernier soupir, en essayant de chanter la chanson qui commence par
Que le diable emporte le ministre.
Cette mort opéra une révolution favorable aux deux familles malheureuses. John Dumbie, devenu Dumbiedikes en son propre nom, paraissait être assez égoïste et serré ; mais il n’avait pas l’esprit de rapine et de cupidité de son père. Son tuteur pensa, comme lui, qu’il devait exécuter le désir que le défunt avait manifesté à son lit de mort. Les deux tenanciers ne furent donc pas immédiatement mis à la porte avec la neige ; on leur permit de se procurer du beurre et des galettes à la farine de pois, qu’ils mangèrent sous le poids tout entier de la malédiction prononcée contre
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