La Prison d'Édimbourg
circonstance qui, jointe aux leçons et aux lectures de son père, contribua à lui donner de bonne heure un caractère grave, sérieux, ferme et réfléchi ; – un tempérament robuste, exempt de toute affection nerveuse et autres infirmités qui, attaquant le corps dans ses plus nobles fonctions, exercent si souvent leur influence sur l’esprit, contribuait aussi à la simplicité et à la résolution de ce caractère.
Au contraire, Reuben était d’une constitution faible et d’un caractère timide ; il pouvait passer pour inquiet, indécis et craintif ; il avait le caractère de sa mère, qui était morte de la consomption, jeune encore. Il était pâle, grêle, faible, maladif, et un peu boiteux par suite d’un accident dans son bas âge. C’était d’ailleurs l’enfant gâté d’une grand’mère, dont la sollicitude trop attentive lui inspira de bonne heure une sorte de méfiance de lui-même et une disposition à s’exagérer sa propre importance, ce qui est une des conséquences d’un excès d’indulgence pour les enfans.
Cependant Reuben et Jeanie se plaisaient l’un avec l’autre autant par goût que par habitude. Ils gardaient ensemble quelques moutons et deux ou trois vaches, que leurs parens envoyaient chercher leur maigre pâture dans les terrains communaux de Dumbiedikes. C’était là qu’on rencontrait les deux enfans, assis sous une touffe de genêt fleuri, rapprochant l’une de l’autre leurs joues vermeilles sous l’abri du même plaid, lorsque l’horizon s’obscurcissait autour d’eux, et qu’un nuage menaçait de la pluie.
En d’autres occasions, ils allaient ensemble à l’école, et, quand ils rencontraient en chemin des ruisseaux à franchir, ou des bœufs, des chiens, et d’autres dangers, le petit garçon recevait de sa compagne ces encouragemens que son sexe considère ordinairement comme son privilége d’accorder au sexe plus faible. Mais, une fois assis sur les bancs du pédagogue, et étudiant leurs leçons, Reuben, qui, pour l’intelligence, était aussi supérieur à Jeanie qu’il lui était inférieur du côté de la force du corps et de ce courage à braver la fatigue et le péril, qui est le résultat du tempérament. Reuben pouvait s’acquitter envers elle de ses bons offices dans d’autres circonstances. Il était décidément le meilleur élève de l’école de la paroisse, et son humeur était si douce qu’il était plutôt admiré qu’envié par le petit peuple qui occupait la bruyante maison, quoiqu’il fût le favori du maître. Plusieurs jeunes filles, en particulier (car en Écosse on les élève avec les garçons), eussent volontiers accablé de leurs petits soins et consolé le pauvre enfant qui était plus savant que ses condisciples. Il y avait dans le caractère de Reuben de quoi exciter à la fois leur sympathie et leur admiration, sentimens par lesquels les femmes (ou du moins la partie la plus méritante du sexe) sont le plus aisément séduites ; mais Reuben, naturellement retenu et timide, ne profitait d’aucun de ces avantages, et n’en devenait que plus attaché à Jeanie Deans, à mesure que l’approbation emphatique de son maître l’assurait d’un brillant avenir et éveillait son ambition. Enmême temps, chaque progrès que Reuben faisait (et, relativement au maître, ils étaient grands) le rendait de plus en plus incapable d’être utile à sa grand’mère dans les travaux de la ferme. Un jour qu’il étudiait le Pons asinorum d’Euclide, il laissa entrer ses moutons dans un champ de pois appartenant au laird ; et, sans la promptitude de Jeanie et les efforts de son petit chien Dustyfoot, il aurait reçu une punition sévère, sans parler de ce qu’il en aurait coûté à sa mère. D’autres mécomptes signalèrent ses études classiques : il comprenait parfaitement les Géorgiques de Virgile, et ne savait pas distinguer l’orge de l’avoine ; aussi il faillit perdre toutes les récoltes de Bersheba pour s’être opiniâtré à cultiver la terre d’après les principes de Columelle et de Caton le Censeur.
Ces bévues chagrinaient son aïeule, et déconcertaient la bonne opinion que Deans avait d’abord conçue de Reuben.
– Je ne vois pas ce que vous pourrez faire de ce pauvre garçon, dit-il un jour à la veuve, à moins que vous ne le destiniez à l’œuvre du ministère ; et jamais on n’eut plus besoin de pauvres prédicateurs qu’aujourd’hui, époque de froideur, où les cœurs
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