La Prison d'Édimbourg
des hommes sont durs comme des meules de moulins, jusqu’à ce qu’ils en viennent au point de ne plus faire attention à aucune de ces choses. Il est évident que ce pauvre enfant ne pourra jamais faire un seul jour de bonne besogne, si ce n’est comme ambassadeur de notre Maître ; je me chargerai de lui procurer une licence {31} quand il en sera digne ; j’espère qu’il restera sans tache et fidèle à l’Église ; il ne se jettera pas comme une truie immonde dans le bourbier des hérésies extrêmes et des défections ; Reuben aura les ailes de la colombe, quoiqu’il soit né parmi les oiseaux de basse-cour.
La pauvre veuve dévora l’affront que Deans faisait ainsi indirectement aux principes de son mari. Elle se hâta de retirer Butler de High-school, pour lui faire étudier les mathématiques et la théologie, seules sciences qui fussent de mode en ce temps-là.
Jeanie Deans fut alors obligée de se séparer du compagnon de ses travaux, de ses études et de ses jeux, et ce fut avec des regrets au-dessus de leur âge que les deux enfans se quittèrent. Mais ils étaient jeunes, pleins d’espérance, et ils se dirent adieu en se flattant de se revoir dans un temps plus propice.
Tandis que Reuben acquérait à l’université de Saint-André les connaissances nécessaires pour devenir ministre, et qu’il imposait à son corps toutes les privations nécessaires pour procurer la nourriture à son esprit, son aïeule devenait tous les jours moins en état de faire valoir sa petite ferme, et elle fut enfin obligée d’en faire la remise au nouveau laird de Dumbiedikes. Ce grand personnage n’était pas tout-à-fait un juif, et il lui accorda un marché à peu près raisonnable ; il poussa même la générosité jusqu’à lui permettre d’habiter gratis la maison qu’elle avait occupée avec son mari ; mais il protesta qu’il n’y ferait jamais pour un farting de réparations, toute sa bienveillance étant purement passive.
Cependant, à force de travail, d’industrie et de talent, grâce aussi à quelques circonstances heureuses, David Deans parvint à être sur un bon pied dans le monde ; il eut quelque fortune, avec la réputation d’en avoir davantage, et se sentit de plus en plus d’humeur d’épargner et de thésauriser, disposition qu’il était tenté de se reprocher même quand il y pensait sérieusement. Ses connaissances en agriculture, au point où en était alors cette science, en avaient fait une espèce de favori du laird, qui, n’étant ni homme de société, ni ami des exercices actifs, ne passait pas une seule journée sans rendre une visite au cottage de Woodend.
Là, n’étant pas riche en idées, et encore moins en moyens de les exprimer, il passait une heure ou deux assis au coin du feu, ou debout près de la porte, suivant les saisons, ayant à la bouche une pipe vide, et sur la tête un vieux chapeau galonné qui avait appartenu à son père, suivant des yeux Jeanie Deans, – la jeune fille, – comme il l’appelait, qui s’occupait des affaires du ménage ; ou bien il écoutait les discussions théologiques auxquelles se livrait le vieux presbytérien quand il avait épuisé le texte ordinaire du beau et du mauvais temps, de ses champs et de ses bestiaux ; il l’écoutait, disons-nous, avec une grande patience en apparence, mais sans rien répliquer, et même, croyait-on généralement, sans comprendre un seul mot de ce que disait l’orateur. Deans, il est vrai, niait cela obstinément, comme un double outrage pour son talent à expliquer les vérités cachées, talent dont il était passablement vain, et pour la capacité intellectuelle du laird. Il disait que – Dumbiedikes n’était pas un de ces brillans messieurs avec des dorures à leurs habits et des épées au derrière, qui étaient plutôt faits pour galoper jusqu’en enfer que pour aller pieds nus au ciel. – Il était bien différent de son père. – Il ne fréquentait point de compagnies profanes. – Il n’était pas jureur, – pas buveur, – n’allait ni au spectacle, ni au concert, ni au bal. – Ce n’était pas un perturbateur du jour du sabbat, – un de ces hommes qui exigent des sermens, ou des engagemens signés, et qui dénient la liberté au troupeau. – Il tenait au monde, et aux biens du monde ; mais c’est qu’alors un vent soufflait sur son esprit – Voilà ce que disait et croyait l’honnête David.
L’attention avec laquelle le laird Dumbiedikes suivait
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