La Prison d'Édimbourg
quelque chose en tête n’en démord pas aisément.
– Il peut monter en chaire maintenant, continua mistress Butler ; pensez donc un peu à ça, voisin Deans. – C’est mon enfant. – Et tout le monde l’écoutera comme si c’était le pape de Rome.
– Comme quoi ? – comme qui ? – femme ! dit David avec sévérité dès que ces derniers mots eurent frappé son oreille.
– Eh bon Dieu ! dit la pauvre femme, j’oubliais quelle dent vous avez toujours eue contre le pape, et c’était tout de même de mon pauvre homme, Stephen Butler. Il passait plus d’une après-dîner à protester contre le pape, le second baptême des enfans, et cætera.
– Femme, reprit Deans, parlez de ce que vous connaissez, ou taisez-vous. Je dis que l’indépendance est une hérésie, et l’anabaptisme une erreur décevante et damnable, qui devraient être extirpées de l’Écosse avec le feu des magistrats spirituels et avec le fer du magistrat civil.
– Bien, bien, voisin, je ne dis pas que vous ayez tort : je sais que vous avez raison quand il s’agit de semer et de faucher, de tondre et de faire paître les troupeaux, pourquoi n’auriez-vous pas raison pour le travail de l’Église tout de même ! – mais mon petit-fils, Reuben Butler…
– Reuben Butler, femme, est un jeune homme à qui je veux autant de bien que s’il était mon propre fils ; – mais j’ai bien peur qu’il y ait du haut et du bas pour lui dans sa carrière. Je crains beaucoup que ses talens ne nuisent à sa grâce. Il a trop de science humaine, il lui faut broder et garnir de dentelles la robe de mariage, ou elle n’est plus assez bonne pour lui. Il est présumable qu’il est vain de ces talens qui lui permettent de parer la doctrine avec tant de recherche. Mais, – ajouta-t-il en voyant la pauvre femme affligée de ces paroles, – l’affliction peut lui donner une leçon : on peut espérer que le jeune homme fera bien, et deviendra une lumière brillante. Peut-être bientôt Dieu vous fera-t-il à vous la grâce de le voir, et à lui celle de le sentir.
La veuve Butler se retira sans pouvoir tirer autre chose de son voisin, dont le discours, qu’elle ne comprenait guère, lui inspira des craintes indéfinissables sur son petit-fils, et troubla la joie que lui avait d’abord causée son retour.
Nous ne devons pas dissimuler, de peur d’être injuste avec David Deans, que dans leur conférence Butler avait déployé plus de science qu’il n’était nécessaire : ce qui ne pouvait manquer de mortifier le vieux presbytérien, habitué à se considérer comme un juge en matière de controverses théologiques, et n’aimant pas à entendre citer des autorités au-dessus de lui. Dans le fait Butler n’avait pas échappé au vernis de pédanterie que devait lui donner son éducation universitaire, et sa vanité lui inspirait trop souvent de faire parade de sa science quand ce n’était pas le cas.
Jeanie Deans cependant ne fit que l’admirer davantage, peut-être par le même motif qui fait admirer à son sexe le courage et toutes les qualités dans lesquelles il est inférieur à l’autre. Le voisinage des deux familles rapprochait de plus en plus Reuben et Jeanie. L’intimité de leur enfance se renouvela par un sentiment plus convenable à leur âge, et ils convinrent enfin qu’ils demanderaient à leurs parens de les unir dès que Butler aurait obtenu quelque petite place qui pourrait lui fournir des moyens d’existence sur la stabilité desquels on pût compter, quelque modiques qu’ils fussent. Reuben forma plus d’un plan à ce sujet ; aucun ne réussit. Déjà Jeanie n’avait plus les joues parées de la fraîcheur de la première jeunesse, et Butler prenait la gravité de l’âge mûr, sans qu’il pût compter sur un établissement prochain. Heureusement pour ces deux amans leur passion n’était pas d’une nature ardente et enthousiaste ; et le sentiment du devoir leur faisait endurer avec courage et patience les retards prolongés qui les séparaient l’un de l’autre.
Cependant les années continuaient à s’écouler en amenant leurs vicissitudes d’usage. La veuve d’Étienne Butler, si long-temps l’appui de la maison de Bersheba, était réunie à ses pères, et Rebecca, la soigneuse épouse de notre ami Davie Deans, avait aussi été enlevée à ses plans d’économie domestique. Le lendemain de sa mort, Reuben se rendit dans la matinée chez son ancien ami, pour lui offrir
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