La Prison d'Édimbourg
quelques consolations, et fut témoin en cette occasion d’une lutte remarquable entre les sentimens de la nature et ce stoïcisme religieux que les principes du rigide presbytérien lui faisaient un devoir de montrer dans l’affliction comme dans le bonheur.
Lorsqu’il arriva à la porte du cottage, Jeanie, les yeux gros de larmes, lui montra le petit verger que son père n’avait pas voulu quitter, dit-elle tout bas en paroles entrecoupées, depuis son malheur. Alarmé à ces mots, Butler entra dans le verger, et s’avança à pas lents vers son vieux ami, qui, assis le dos appuyé contre un arbre, la tête penchée sur ses mains, paraissait plongé dans une profonde affliction. Il leva la tête quand Butler approcha, et le regarda d’un air sévère, comme s’il était offensé de cette interruption ; mais, le voyant incertain s’il devait avancer ou se retirer, il se leva, alla à sa rencontre, et lui présenta la main d’un air de calme et même de dignité.
– Jeune homme, lui dit-il, le juste peut mourir, mais la mort ne fait que l’arracher aux misères de ce monde. Malheur à moi si je versais une larme pour une femme, quelque chère qu’elle fût à mon cœur, quand je devrais répandre des torrens de pleurs pour cette Église affligée et gémissant sous la malédiction des hommes charnels et de ceux qui ont le cœur mort.
– Je suis charmé, dit Butler, que la religion vous fasse oublier vos chagrins particuliers.
– Les oublier, Reuben ? dit le pauvre Deans en portant son mouchoir à ses yeux. – Jamais elle ne sera oubliée dans ce monde ; mais CELUI qui fait la blessure peut envoyer le baume. Je proteste que plusieurs fois cette nuit j’étais tellement absorbé dans mes méditations, que je ne sentais plus ma douloureuse perte. Il m’est arrivé comme au digne John Semple, surnommé Carspharn John, dans une semblable épreuve, – j’ai erré cette nuit sur les rives d’Ulaï, cueillant ça et là une pomme sur l’arbre.
Malgré ce courage forcé que Deans regardait comme un devoir chrétien, il avait un cœur trop aimant pour ne pas gémir profondément d’une telle perte. – Woodend lui devint odieux ; et comme, dans sa petite métairie, il avait acquis à la fois de l’expérience et quelques capitaux, il résolut de les employer au métier de fermier de laiterie, ou nourrisseur de vaches, comme on l’appelle en Écosse. Il choisit pour son nouvel établissement un endroit appelé Saint-Léonard’s Craigs {33} , entre Édimbourg et la montagne d’Arthur’s Seat, près du riche et vaste champ de dépaissance encore nommé the King’s Park {34} , ayant été autrefois un clos de réserve pour le gibier royal. Ce fut là qu’il loua une petite maison isolée, environ à un demi-mille de l’extrémité de la ville, mais dont l’emplacement est maintenant occupé par les bâtimens qui forment le faubourg du sud-est. Une vaste terre de dépaissance adjacente, que Deans afferma du gardien du Parc royal, servait à nourrir ses vaches-laitières ; et l’infatigable industrie de l’active Jeanie, sa fille aînée, s’exerçait à tirer du lait le meilleur parti possible.
Jeanie avait alors moins d’occasions de voir Butler, qui, en attendant mieux, avait été obligé d’accepter une place de sous-maître dans une école paroissiale à quatre milles de la métropole. Il y obtint l’estime et la considération de plusieurs respectables bourgeois qui, pour raison de santé ou par d’autres motifs, voulaient faire faire la première éducation de leurs enfans dans ce petit village. L’avenir se présentait aux yeux de Butler sous des couleurs plus riantes. À chaque visite qu’il faisait à Saint-Léonard, il parlait de ses espérances à Jeanie ; ces visites étaient nécessairement très rares, parce que les devoirs de l’école absorbaient presque tout le temps de Butler. Il n’osait même aller voir Jeanie aussi fréquemment qu’il aurait pu le faire ; Deans le recevait, il est vrai, civilement et même avec bienveillance ; mais Butler, comme cela arrive dans ces occasions, s’imaginait que Deans lisait ses intentions dans ses yeux, et craignait par une explication prématurée d’amener un refus positif. Il n’osait donc pas aller chez lui plus souvent que ne l’y autorisaient ses anciennes relations de voisinage et d’amitié. Mais il existait quelqu’un dont les visites à Saint-Léonard étaient beaucoup plus régulières.
Lorsque Deans
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