La Prison d'Édimbourg
aurait cru qu’il en dirait jamais si long ? – Elle avoua depuis qu’elle mit quelque chose de ce sentiment peu aimable dans son accent et son air, car son père était absent ; et ce – corps – (c’est avec cette irrévérence qu’elle parlait d’un propriétaire foncier), ce corps lui parut si alerte et si malin, qu’elle ne savait où il en pourrait venir.
Son air boudeur toutefois agit comme un vrai sédatif, et le laird retomba depuis ce jour dans sa taciturnité précédente, visitant trois ou quatre fois par semaine le cottage du nourrisseur de vaches quand la saison le permettait, sans autre but en apparence que d’admirer des yeux Jeanie Deans, pendant que Douce David prodiguait son éloquence sur les controverses et les témoignages du jour.
CHAPITRE X.
« Elle avait l’art de charmer tous les cœurs,
» Réunissant à des traits enchanteurs
» Air de santé, fraîcheur dela jeunesse,
» Œil séduisant, modeste gentillesse. »
CRABBE.
Les visites du laird reprirent ainsi leur cours accoutumé, sans qu’on eût à attendre ou à redouter de lui quelque chose de nouveau. S’il était possible à un amant de fasciner sa maîtresse comme on dit que certains serpens fascinent les oiseaux, par la seule force de leurs regards toujours fixés sur l’objet dont ils veulent faire leur proie, Dumbiedikes aurait infailliblement réussi à s’assurer le cœur de Jeanie ; mais il paraît qu’il faut mettre la fascination au nombre des arts dont le secret est perdu, et je n’ai pas entendu dire que l’attention soutenue du laird produisît d’autre effet que d’exciter de temps à autre un bâillement.
Cependant l’objet de sa contemplation touchait aux bornes de la jeunesse, et approchait de ce qu’on appelle la maturité, époque fixée impoliment pour le sexe le plus fragile à un terme beaucoup plus rapproché de la naissance que chez les hommes.
Selon bien des gens le laird aurait mieux fait de consacrer ses regards à un objet doué de charmes bien supérieurs à ceux de Jeanie, même telle qu’elle fut dans sa fraîcheur, et qui commençait à être remarqué de tous ceux qui visitaient le cottage de Saint-Léonard’s Craigs.
Effie Deans, élevée par les tendres soins de sa sœur, était devenue une jeune fille d’une beauté rare. Son front, d’une coupe grecque, était orné de nombreuses boucles de cheveux noirs qui, rassemblés par un snood {36} de soie bleu, relevaient encore la blancheur d’un visage digne d’Hébé, où se peignaient la santé, le plaisir et le bonheur. Sa courte jupe brune se dessinait sur des formes que le temps peut-être menaçait de rendre trop robustes, objection fréquemment faite aux beautés d’Écosse ; mais à l’âge d’Effie elles étaient sveltes et arrondies, avec cette grâce de contours et cette aisance de mouvemens qui indiquent à la fois la santé et la parfaite symétrie du corps.
Ces charmes, malgré toute leur fraîcheur, ne purent ébranler l’âme constante du laird de Dumbiedikes, ni distraire son attention ; mais il était peut-être le seul qui put apercevoir ce modèle de grâce et de beauté sans se complaire à l’admirer. Le voyageur arrêtait sa monture fatiguée avant d’entrer dans la ville, terme de sa course, pour contempler cette sylphide qui passait près de lui avec son pot au lait sur la tête, se tenant si droite, et marchant d’un pas si agile, que son fardeau semblait plutôt un ornement. Les jeunes gens du faubourg voisin cherchaient à l’avoir pour témoin de leurs jeux et de leurs exercices, et c’était sa présence qui donnait du prix à la victoire. Même les rigides presbytériens, qui se reprochaient comme un crime, ou du moins comme une faiblesse, tout ce qu’ils accordaient aux plaisirs des sens, ne pouvaient s’empêcher de la regarder avec délices, et regrettaient qu’une si belle créature participât à la faute héréditaire et à l’imperfection de notre nature. On l’avait surnommée le Lis de Saint-Léonard, et elle méritait ce nom par la candeur et la pureté de son âme, autant que par le charme de son visage et de sa personne.
Cependant il y avait dans le caractère d’Effie quelque chose qui non seulement inspirait d’étranges inquiétudes à David Deans, dont les principes étaient rigides, comme on peut bien le croire, sur lesujet des amusemens de la jeunesse, mais qui donnait encore des craintes sérieuses à sa sœur, plus indulgente. Les enfans
Weitere Kostenlose Bücher