La Prison d'Édimbourg
les questions les plus pressantes, auxquelles celle-ci fit d’abord des réponses incohérentes et évasives ; enfin elle se trouva mal, l’affreuse vérité ne put plus se cacher, et Jeanie fut réduite à la cruelle alternative d’annoncer à son père la nouvelle désespérante du déshonneur de sa sœur, ou de chercher à la lui cacher. Elle la pressa de lui apprendre le nom et le rang de son séducteur, et demanda ce qu’était devenu l’enfant auquel elle avait donné le jour. À toutes ces questions Effie demeurait silencieuse comme le tombeau vers lequel elle paraissait descendre rapidement ; bien plus, la moindre allusion à ce sujet lui occasionait de nouveaux accès de désespoir.
Jeanie désolée se proposait d’aller chez mistress Saddletree, où elle espérait obtenir quelques lumières sur cette affaire mystérieuse, et lui demander des conseils sur ce qu’elle devait faire ; mais cette démarche devint inutile par un nouveau coup du destin qui mit le comble à l’affliction de cette malheureuse famille.
David Deans en rentrant avait été surpris et alarmé de l’état dans lequel il avait trouvé Effie. L’arrivée du laird Dumbiedikes, qui venait faire sa visite journalière, et l’adresse de Jeanie, qui chercha à attirer son attention sur d’autres objets, l’empêchèrent de questionner sa fille sur la cause du changement effrayant qu’il voyait en elle, quoiqu’il fût loin d’en rien soupçonner. Ce fut donc un vrai coup de foudre pour le bon vieillard, quand une demi-heure après son arrivée il vit entrer chez lui des hôtes qu’il n’attendait guère ; c’étaient des officiers de justice porteurs d’un mandat de la cour criminelle, pour chercher et appréhender Euphémie ou Effie Deans, comme prévenue du crime d’infanticide. Un coup si terrible ne put être supporté par un homme qui dans sa jeunesse avait bravé la tyrannie civile et militaire, quoique entouré de persécutions, de tortures et d’échafauds. Il tomba privé de tout sentiment ; et les officiers de justice, peut-être par humanité, pour lui épargner une scène déchirante, profitèrent du moment où il était sans connaissance, pour s’emparer de leur victime, et la mirent dans une voiture qu’ils avaient amenée avec eux. Les secours que Jeanie prodiguait à son père ne l’avaient pas encore rappelé à la vie quand le bruit des roues l’avertit qu’on emmenait sa malheureuse sœur. Elle se précipita à la porte en poussant de grands cris, mais elle fut arrêtée par quelques voisines que l’arrivée du carrosse avait attirées, spectacle qui n’était pas ordinaire à Saint-Léonard. L’affliction de ces bonnes femmes, sincèrement attachées à cette famille infortunée, fut presque aussi vive que celle du père et de la sœur ; le laird lui-même se sentit ému à un point qu’on aura peine à croire. – Jeanie, s’écria-t-il en faisant sonner une bourse bien remplie, ne vous désolez point, Jeanie, l’argent remédie à tout.
Le vieillard venait de reprendre ses sens ; on l’avait assis sur un fauteuil ; jetant autour de lui des regards égarés, comme s’il eût cherché quelque chose qui lui manquait, et retrouvant le souvenir de ses malheurs : – Où est-elle ? s’écria-t-il d’une voix qui fit retentir la chambre, où est la misérable qui a déshonoré mes cheveux blancs ? où est celle qui n’a plus de place parmi les élus ; mais qui est venue ici souillée de ses crimes, comme le malin esprit au milieu des enfans de Dieu ? Amenez la-moi, Jeanie, que je l’anéantisse d’un mot et d’un regard !
Chacun s’empressait de lui prodiguer des secours et des consolations : le laird faisait sonner sa bourse, Jeanie brûlait des plumes devant lui, ou lui faisait respirer du vinaigre, et les voisines lui disaient : – Allons, voisin Deans, allons, c’est une cruelle épreuve, sans doute ; mais songez au rocher des siècles, songez aux promesses de l’Écriture.
– J’y songe aussi, voisines, et je remercie Dieu de pouvoir y songer au milieu de la ruine et du naufrage de tout ce que j’avais de plus cher ; mais être le père d’une débauchée, d’une sanguinaire Zipporach… Oh ! quel triomphe pour les épiscopaux et tous les hérétiques, de voir mon sang aussi impur que le leur ! Oui, voisines, je suis triste, triste au fond de l’âme pour le crime de l’enfant de ma vieillesse ; mais je le suis encore davantage à cause du
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